Arrêtons d’infantiliser les apprenants, construisons une autonomie nouvelle !

par | 31 janvier 2023 | Marketing, Pédagogie, Philosophie

La base ligne de la formation est de « remettre l’apprenant au centre de la formation »… tout le monde semble d’accord. Un tel engouement n’est pas sans poser des questions. L’apprenant acteur, responsable de sa propre formation, a-t-il un sens dans un monde en disruption ? L’apprenant qui par définition est celui qui apprend, est-il suffisamment crédible pour qu’on puisse lui fasse confiance ? Qui doit piloter la formation, l’apprenant qui ne sait pas ou l’expert qui sait ? Autant de questions qui interrogent la formation du 21ème siècle, qui est en quête de sens, voir d’éthique. L’apprenant adulte, est-il suffisamment adulte pour la société de la formation ?

1, L’apprenant adulte, est-il un enfant ?

Un enfant est étymologiquement un être qui n’a pas le droit à la parole, alors qu’un adulte est celui qui étymologiquement a grandi. Autrement dit, est adulte celui qui répond de sa propre parole. Ce paradigme est ancien, c’est Saint-Augustin qui reprend le conseil de Jésus : « Ne vous faites pas appeler « maître » : car vous n’avez qu’un seul maître et vous êtes tous frères » et y introduit l’intériorité de ce maître, notre part de Dieu, c’est le « Maître intérieur ». René Descartes remplacera Dieu par la raison, et c’est le début de l’homme rationnel au 17ème siècle, paradigme qui domine toujours aujourd’hui. Et c’est grâce à cette autonomie que l’homme comme disait Albert Camus est celui qui « s’empêche » et qui est responsable de ce qu’il dit. Le respect de sa parole est ce qui fait l’homme, la raison est ce qui fait son chemin.

C’est sur cette base est née l’Organisation Scientifique de la Formation, OSF, le paradigme dominant du 20ème siècle. Les experts, du style Frédéric Taylor, ceux qui savent organisent l’apprentissage de ceux qui ne savent pas, les apprenants. Cette pratique pyramidale a permis les formations de masse. Les apprenants étaient des générations silencieuses quant à leur avis et leurs attentes, seule la performance standard de leurs acquisitions était évaluée. L’apprenant n’avait rien à dire sauf ce qu’on lui autorisait à dire. L’apprenant non-expert était un enfant, un être privé de parole sauf quand on lui autorise à s’exprimer. Avec la fin du siècle dernier, la parole a commencé à se libérer, l’apprenant s’est exprimé pour le meilleur et pour le pire.

Le philosophe Paul Virilio (Infantilisation générale, 2009) parle des conséquences de la politique d’infantilisation du 20ème siècle. L’enfant parle mais sa parole est biaisée par ses émotions et son immédiateté, c’est ce qu’on appelle l’immaturité. La formation a mis du temps à accepter les foules intelligentes (Howard Rheingold, 2005), c’est le fait du 21ème siècle. Dans la vie on considèrait un adulte capable d’acheter sur 20 ou 30 ans un logement, mais pas assez responsable pour choisir une formation qui lui sera utile pour les 2 ou 3 ans à venir. Les professionnels de la profession ont construit et gardé une rente d’autorité qui met l’apprenant sous assistanat. Le 21ème siècle propose un modèle nouveau qui redonne la parole à l’apprenant.

2, Qui fait autorité en formation ?

L’autorité est un choix social qui répond à un paradigme, une façon de penser l’organisation de choses. Le 20ème siècle est le siècle de l’autorité des experts, ceux qui savent. L’apprenant est alors infantilisé, faute de savoir, et l’expert en bon père de famille protège l’apprenant contre les dangers, et même contre lui-même. L’apprenant adulte est considéré comme un enfant qui si l’on suit Paul Virilio a une pensée baisée par l’immaturité professionnelle. C’est une des raisons pour laquelle l’Etat a donné aux experts le pouvoir sur la formation. Cela lui a permis aussi une administration qui suradministre la formation. L’expert par nature du 20ème siècle crée des normes nouvelles qui renforcent son pouvoir d’expert en créant des barrières à l’entrée et dans ce maquis règlementaire crée des experts qui surveillent les experts de niveau inférieur. L’exemple de la qualification d’un organisme de formation est significatif. Il s’agissait dans un premier temps d’obtenir un numéro de déclaration avec quelques obligations, puis les experts de l’expertise ont créé Datadock en 2017, pour le renforcer, en 2022, par Qualiopi, qui depuis ne cesse de se complexifier.

Ces politiques de normalisation qui veulent standardiser sont souvent des outils de création de rente de situation. La sur-administration repose sur l’efficience des process et non l’efficacité du système. La bureaucratie au sens de Michel Crozier est un système qui s’auto-entretien en création des normes de plus en plus tatillons et des agences de contrôle de plus en plus intrusive. Cela génère un surcoût pour la filière formation. Ce surcoût favorise les rentes d’autorité, ceux qui ont les moyens de se payer les contrôles. Comment on l’a vu dans un article précédent, ces rentes réduisent la capacité d’innovation du secteur, bloquant la destruction créatrice et l’innovation schumpétérienne. Aujourd’hui, avec la montée en puissance de l’apprenant comme autorité, c’est un nouveau paradigme qui émerge, l’inversion de la pyramide des savoirs. L’apprenant s’impose de plus en plus comme l’autorité du système. Au fond, qui mieux que l’apprenant sait si la formation lui a été utile dans le quotidien de son travail ?

Nous sommes dans une période de transition avec une critique de l’autorité traditionnelle et une montée en puissance d’une autorité de pair à pair. L’Institut Sapiens a mesuré que si la quasi-unanimité des Français était pro-science, deux tiers font plus confiance à un pair non-scientifique qu’à un expert, c’est la crise des élites. Une nouvelle autorité émerge et certains commencent à penser un nouveau contrat social, un contrat plus horizontal ou plus bottom up, c’est la montée en puissance de l’apprenant comme autorité sociale. Ces défenseurs en font une nouvelle liberté offerte à l’apprenant, une autonomie, c’est lui qui se fixe les propres lois de son apprentissage. C’est une nouvelle émancipation sociale qui se dessine. Certains l’appellent dans la littérature le personal learner.

3, Comment construire un personal learner ?

Responsable signifie étymologiquement répondre, assumer sa parole. Un adulte responsable est celui qui tient sa parole. La question de la responsabilité de l’apprenant est une responsabilité sociale. Comment la société écoute l’apprenant ? La loi L6362-5 du Code du travail impose pour les actions de formation d’une obligation d’évaluation, sans préciser toutefois la nature de l’évaluation. Ce qui fait que la pratique impose à minima un LSAT (Learner Satisfaction) des apprenants en fin de formation. Dans un article précédent (https://affen.fr/marketing/que-faire-de-lavis-des-apprenants/) nous avions abordé les usages possibles de l’avis des apprenants. Entendre la parole des apprenants n’est pas écouter, écouter nécessite de comprendre et socialement d’en faire quelque chose. La responsabilité nécessite l’écoute. L’écoute nécessite l’action. Quels sont les KPI que l’entreprise met en œuvre pour écouter l’apprenant ?

L’entreprise n’est pas seulement un lieu d’écoute, mais un lieu d’action collective. Donner la liberté à l’apprenant d’apprendre à son gré nécessite d’organiser l’engagement de cette liberté dans le projet stratégique de l’entreprise. C’est le rôle du marketing de la formation. Marketer, c’est donner l’envie pour transformer les libertés individuelles en aventure collective. Certains parlent de design de la formation avec un usage plus marqué de l’émotion pour favoriser la communion apprenante. C’est un travail d’animation, étymologiquement allumer le feu. Aristophane disait : « Former les hommes, ce n’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu ». Et la meilleure façon de partir de l’apprenant, c’est partir de lui, faire du Learner Generated Content, c’est lui qui parle et la formation qui partant de cette parole construit une pédagogie agile pour atteindre ses objectifs. Organiser de nouvelles formes d’intelligence collective.

Ce nouveau paradigme, pour être piloté nécessite d’inventer des outils de pilotages. Si l’animation commence à construire des outils d’engagement et de social scoring. Remettre l’apprenant au centre de sa propre formation est de lui redonner le contrôle, avec ce qu’on appelle le quantify self. Cela va de la création d’outil nouveau jusqu’à une nouvelle gouvernance de la data, RGPD friendly. Prenons l’exemple des soft skills, tout le monde semble d’accord pour en faire le veau d’or de la formation nouvelle, mais comment faire de la pédagogie sans indicateurs, comment savoir si l’apprend progresse ou non ? Prenons le cas de la gestion du stress, comment évaluer la pratique du lâcher prise ? Les wearables sont disponibles avec par exemple les bracelets Amazon ou Apple Watch pour mesurer son activité physique ou son rythme cardiaque qui avec l’historique propose des métriques très intéressants. Alors la formation doit-elle offrir une Apple Watch à tous ces apprenants ? Quelle que soit la réponse, reste encore à former les apprenants à l’usage de ses métriques, c’est une courbe d’apprentissage sur le bien-être et l’entreprise devient l’agent de motivation et d’accompagnement de cette appétence. Tout reste à écrire, et chaque entreprise a son histoire à construire. Un storytelling pour un progrès social.

La construction de l’autonomie est un travail radical, qui remonte à la racine. Emmanuel Kant disait que « Les Lumières, c’est pour l’homme sortir d’une minorité qui n’est imputable qu’à lui. La minorité, c’est l’incapacité de se servir de son entendement sans la tutelle d’un autre ». Le rôle du social ou du sociétal est de se donner les moyens de cette autonomie. L’entreprise à tout intérêt à cette responsabilisation, car elle est la base de l’entreprise agile et/ou de l’intelligence collective, mais il s’agit d’un projet culturel qui s’inscrit dans le temps. L’autonomie est un étendard qui se construit pour sortir les apprenants de la minorité bienveillante du 20ème siècle. Voilà un beau projet pour les experts de l’expertise.

Fait à Paris, le 31 janvier 2023

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