La communication du responsable de formation

par | 4 mars 2025 | Marketing, Pédagogie, Responsable de formation

Communiquer, c’est important pour se faire entendre, pour s’entendre, mais comment faire dans une civilisation du poisson rouge pour reprendre le terme de Bruno Patino (La civilisation du poisson rouge, petit traité sur le marché de l’attention, 2019) ? Comment faire pour communiquer à individus qui ont une durée d’attention moyenne de 8 secondes, moins que celle d’un poisson rouge, 9 secondes ? « J’y pense et puis j’oublie » (Claude François). Comment dans l’entreprise, un responsable de formation peut inscrire une communication dans le temps long sans être une voix seule qui crie dans le désert ? Comment faire pour la communication soit opératoire, « Dire, c’est faire » (John Langshaw, 1955) ? Comment le responsable de formation doit communiquer pour être performant ?

1, Quelle est la situation ?

Un Français est exposé en moyenne à 1 200 messages publicitaires par jour que ce soit avec les affichages, la télévision, les réseaux ou les magazines. Le numérique a renforcé la situation en multipliant les canaux numériques. L’intelligence artificielle tout particulièrement l’IA générative augmente dans de telles proportions la création de messages que de nouveaux comportements voient le jour. Le scrolling, le fait de faire défiler un contenu à l’écran sur le smartphone permet de faire dérouler le contenu, de survoler le contenu et de s’appesantir sur celui qui capte l’attention et/ou qui réponde à la situation du moment. Le scrolling permet de traiter plus d’information, privilégiant l’information saillante assurant une réactivité plus forte, mais réduit la mémorisation ou la capacité de faire projet. Le contenu est à l’instant présent, la communication se fait dans l’immédiateté. La communication classique est démonétisée.

Comment parler dans un monde qui ne veut plus entendre ? Certains spin doctors proposent des solutions. Christian Salmon proposait le storytelling (Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, 2007), raconter des histoires qui permettent d’entrer dans la communication de voyager grâce à l’enchaînement avec un déroulé et un teasing qui permet de fidéliser l’écoute. Les entreprises se sont mises à pitcher des histoires. Plus de 10 ans après, Christian Salmon montre que faire des histoires n’est plus suffisant, il faut entrer dans l’histoire et la meilleure façon d’y arriver est le clash (L’ère du clash, 2019). La communication doit être polarisante, prendre des positions fortes pour capter l’attention et dérouler sa ligne éditoriale. Le responsable de formation doit faire le buzz pour être entendu. Même si le buzz en B to B n’est pas aussi polarisé que le buzz en B to C, l’esprit est à la disruption. Toujours dans la même veine, en B to C, Christian Salmon invoque la posture du clown comme porte d’entrée (La tyrannie des bouffons, sur le pouvoir grotesque, 2020). Deux salles deux ambiances entre le B to B et le B to C ?

La saturation transforme les techniques de communication. Dans le descriptif du constant, il faut rajouter un corolaire, Pierre Cahuc par d’une société de la défiance comme modèle français (2007), défiance face aux figures d’autorité. Seulement 16 % des Français  font confiance aux journalistes (IPSOS, 2021). Ce mouvement est ancien : 3 siècles selon l’historien Eric Anceau (Les élites françaises, des Lumières au grand confinement, 2020), mais rien de si nouveau, déjà, à son époque, Platon dans la République parlait de « théâtrocratie », le pouvoir des postures, du théâtre social ou du théâtre des mots, il pale de la « fraude des mots », des mots pervertis de leur sens initial pour manipuler les personnes. La communication cherche les mots qui sont bancables socialement. Le bon mot. Changer les mots pour ne pas changer les choses. Le management devient bienveillant jusqu’à ce que le mot soit éculé, alors il devient inspirant, éthique… La communication s’adapte à la mode du wording pour être entendue.

2, La fin de la communication judicative

Judicative vient de juge, la parole qui scelle le jugement, la parole qui sait qui est le résultat d’une argumentation, la parole qui dit le bien. Cette pratique est ancienne et il existe différentes interprétations de ceux qui parlent « d’en haut », comme une autorité du moment. Dans les auteurs récents. Michel Foucault considère que la parole judicative est le fruit d’une vérité sociale, ce que la société à un moment donné dit ce qui est bien. Une déconstruction en matière de vérité et de savoir, déconstruire pour mieux reconstruire. Thomas Khun parlait du paradigme dominant. Pierre Bourdieu considère que cette parole sociale est celle de la domination symbolique, d’un ordre établi contre un autre. La parole judicative est une façon pour la classe établie de garder le pouvoir, il y a ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Pierre Bourdieu considère que ceux qui savent parler d’en haut dominent dans une esthétique culturelle, si l’on supprime cette parole, on supprime la domination. Le verbe fait l’ordre. La communication des sachants fait l’ordre des sachants.

Le 20ième siècle a été marqué par l’Organisation Scientifique de la Formation (OSF) une certaine parole judicative, celle qui prône la rationalisation rationalisante. Les experts sont ceux qui savent, ils sont donc positionnés en haut de la pyramide et développent les vérités sociales, ce que Philippe Muray appelait « l’empire du bien » (1991), imposer le bien socialement choisi. Le sociologue Alain Desrosières (La politique des grands nombres, histoire de la raison statistique, 1993) montre comment l’outil statistique a permis l’émergence d’une nouvelle rationalisation de la gouvernance des entreprises avec des outils comme les reportings. L’Institut de statistique de l’Université de Paris (ISUP) a été créé en 1922. La réalité sociale reposait sur une description statistique de la réalité sociale. La parole judicative est celle qui se justifie par les constructions statistique. Le formalisme impose sa façon de penser et permet une massification de la formation. Les experts savent et imposent leur vision aux autres. L’autorité est relayée par le social.

Aujourd’hui, avec la saturation de la parole, la société de la défiance, la parole judicative n’est plus entendue. L’humoriste Franck Lepage illustre bien ce phénomène avec ses « conférences gesticulées » où il construit un discours politiquement correct avec des mots tirés aux hasards qui font verbe dans l’ordre de leur tirage, mais pas sens. Parler d’en haut pour ne rien dire devient une compétence rhétorique dans la gouvernance des entreprises, la parole corporate. La situation n’est pas nouvelle, déjà à l’époque de Socrate, les rhéteurs proposaient des techniques pour transmettre efficacement, quelle que soit la qualité du contenu. Le triangle de rhétorique d’Aristote est toujours d’actualité. C’est toute la controverse de Socrate contre les sophistes, faut-il être efficace ou vrai dans la parole judicative. Cela impact directement l’entreprise et la formation qui doivent se réinventer pour rester en société.

3, La communication horizontale

Les entreprises s’horizontalisent, permettant ainsi de développer une stratégie du rhizome pour s’adapter plus facilement aux ajustements nécessaires. De la même façon la communication s’horizontalisent avec des techniques de pair à pair ou d’intelligence collective. La communication des experts est challengée par la communication des pairs. Le réceptacle devient le créateur de communication. C’est un changement culturel. En formation, Horward Rheingold a inventé la pairagogie, demander aux apprenants eux-mêmes de construire leurs apprentissages, non seulement acteur, mais aussi auteur de leur formation, pour reprendre le mot d’Ivan Illich. Le travail de formation change de nature, il ne s’agit plus seulement de transmettre, mais de créer ces territoires apprenants, de les animer pour créer des communions apprenantes et d’atteindre les objectifs prédéfinis. La pédagogie des experts laisse place à la pédagogie des pairs.

Comment faire pour que cette parole fasse société ? En articulant la communication judicative et la communication horizontale. La parole judicative doit reconstruire sa confiance sociale, refaire sens. Comment ? En écoutant la parole des apprenants et en proposant une promesse qui fasse sens. En formation, l’émetteur doit afficher son ambition, faire la réclame de la formation, quel est l’argument qui par rapport à la cible permet de susciter l’engagement. Réclame, publicité suivant la maturité de la population. Et dire n’est pas faire, il faut quantifier la promesse et de permettre à l’apprenant de suivre l’évolution du résultat, « 60 % mis en œuvre sur le terrain 3 mois après », cela permet d’analyser les points de progrès et/ou de vigilances pour construire des métriques encore plus performants. La satisfaction professionnelle de l’apprenant devient le cœur de l’évaluation, faire confiance à l’apprenant, ne plus le considérer comme un enfant, celui qui n’a pas le droit à la parole étymologiquement.

La communication horizontale prend la forme de l’interaction ou de l’engagement tant appelé de ses vœux en formation. Comme toute communication, il s’agit d’apprendre les codes, la grammaire, l’histoire. C’est une courbe d’apprentissage qui permet à l’apprenant d’être de plus en plus performant dans l’expression de ses besoins, la création de ses solutions. L’expert devient celui qui en situation méta supervise l’apprendre. L’apprenant change de statut. L’apprenant qui apprend, qui fait son travail social, devient un apprenant qui crée ses apprentissages. La valeur travail devient une valeur création pour reprendre la notion de Michel Maffesoli. L’apprenant devient aussi un pédagogue, voir un responsable de formation. Et l’entreprise dans tout cela ? Loin d’être finie l’entreprise à un rôle essentiel, c’est celle qui organise l’apprendre dans le temps, elle devient un incubateur de formation avec un programme d’incubation qui permette à chacun d’apprendre seul ensemble au sein de la stratégie de l’entreprise.

Le responsable de formation a un rôle particulier dans ces périodes de mutations, faire sens, redonner un sens à la formation. Yuval Noah Harari avait cette belle formule comparant home de Neandertal et l’homo sapiens, l’homme de Neandertal ne savait pas faire des histoires, ce qui bloquait sa régulation à 150 personnes (Chiffre de Robin Dunbar), seul le sens, l’histoire permet l’industrialisation des savoirs. La communication est au cœur des nouvelles modalités d’apprentissage, verticales ou horizontales, et le responsable de communication devient un faiseur d’histoires pour mettre en ordre les apprentissages. La communication pour mettre en commun, la fierté d’apprendre.

Fait à Paris, le 04 mars 2025

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