Le design thinking pour le responsable de formation, a-t-il un sens ?

par | 6 février 2024 | Marketing, Pédagogie, Responsable de formation

Le design thinking que certains traduisent comme « démarche design », est une méthodologie d’innovation plus ou moins standardisée, née de la démarche de résolution de problème de Nigel Cross (Designerly, 1982) et du livre de Peter Rowe (Design Thinking, 1987) pour l’architecture. Le design thinking est issue de la longe tradition design à l’origine centrée sur le produit et aujourd’hui ouverte aux les services. Le design thinking est un sous-produit du design, une certaine façon de penser le design. La formation, peut-elle utiliser la démarche design ? Le responsable de formation, a-t-il intérêt à s’engager dans une politique de design thinking ? Qu’est-ce que recouvre cette démarche nouvelle par rapport aux démarches traditionnelles ? S’agit-il d’une énième nouveauté organisationnelle ou d’une réelle innovation ? Le responsable de formation, doit-il devenir un design thinker, voire un learning design thinker ? Que faut-il en penser ?

1, Qu’est-ce que le design thinking ?

Le design tkinking est une démarche qui varie suivant les auteurs, mais que l’on peut résumer en 3 étapes communes à chacun. La première étape consiste à centrer la démarche sur l’usager. Cette démarche aujourd’hui, commune n’était pas si évidente dans les années 80, date de naissance de cette idée. Que signifie cette démarche ? Il s’agit de mettre en place des outils d’analyse de l’usager avec non seulement une analyse fonctionnelle traditionnelle, mais aussi la montée en puissance de nouvelle dimension comme l’émotion ou le non-exprimé. Les études quanti doivent être complétées par des études quali. La démarche de design thinking fait sienne le fait de construire une User eXperience (UX) qui propose une expérience à vivre fonctionnelle et émotionnelle. La première étape est de considérer la personne plus que l’individu dans le processus de résolution de problèmes et surtout d’analyser l’impact du projet dans la satisfaction consciente et inconsciente de l’usager.

La deuxième étape est celle de l’idéation. L’idéation est la création d’un processus de production d’idées nouvelles, reste à construire les « idéateurs », les outils au service de l’idéation. Le brainstorming est un idéateur bien connu inventé par le publicitaire Alex Osborn en 1953 dans son ouvrage Applied Imagination. Mais il en existe bien d’autres. Tous sont bons pour peu qu’ils permettent de sortir des idées reçues. Le 21ième siècle avec la montée en puissance de l’intelligence collective dans le paradigme dominant, propose des outils d’idéation, on sort ainsi des petits groupes de créativité, comme par exemple avec Alex Osborn, pour engager un plus grand nombre, voire toute une entreprise dans un processus de créativité collective avec des outils comme les world café ou les tables apprenantes par exemple.

La troisième étape est la création d’un pilote. Le pilote est une mise en situation réelle du produit ou du service. Cela va plus loin que le prototype qui est un ébauche pour affiner le concept initial, et assurer une étude de faisabilité, là le concept est fini. On pourrait d’avantage parler de Proof of Concept (PoC) où il s’agit de construire des métriques en situation pour tester la réaction des usagers ou du marché en situation. Peu importe les définitions, il s’agit lorsqu’on a une idée de voir comment elle réagit et en fonction de la réaction des usagers faire pivoter le concept de façon à tenir compte des usagers et pas seulement des inventeurs. La preuve par les chiffres. Quelle pourrait être la conséquence dans le monde de la formation ?

2, Le design thinking dans la formation

La première étape de la méthode est le maillon faible de la création de la chaîne de valeur de la formation. La formation ne connaît pas les apprenants. Autrement dit, chaque apprenant est réduit à un archétype. Les experts face à ces profils standards proposent des formations centrées sur le contenu et non pas sur l’apprenant. Le siècle de l’expert laisse place au siècle de l’apprenant, ce qui nécessite de mettre en place des outils de connaissances nouveaux. La connaissance passe par la raison, mais aussi par l’émotion, par la personnalisation, mais aussi par la communion apprenante. Sortir des formations en blind test pour des formations dont on calcule l’impact pour les apprenants avec une véritable sociologie fondée sur l’émotion, autrement dit le design. Les politiques de learning datas ouvrent des perspectives intéressantes pour érotiser les formations, donner l’envie aux apprenants de s’engager en formation.

Le processus d’idéation est particulièrement intéressant pour le monde de la formation. Car si le temps est à l’intelligence collective et la sagesse des foules, la formation connaît un mouvement d’horizontalisation de ses processus de création. L’exemple la plus marquant est celui d’Howard Rheingold qui a demandé à ses apprenants de créer eux-mêmes leur propre manuel d’apprentissage. Le contenu est de plus en plus disponible gratuitement, ce qui est encore renforcé par ChatGPT (et les LLM) qui propose des contenus moyens issus de sites identifiés de qualité. La formation ne consiste plus à créer les formes de formation à transmettre, mais à organiser l’appropriation des contenus par les apprenants. L’accès ne fait pas la formation. C’est le moment de « cristallisation » pour reprendre le terme de Stendhal qui fait la transmission ou l’apprentissage. La pédagogie consiste à organiser ces moments de communion apprenante pour faire formation. Le design thinking regarde ces territoires apprenants avec un intérêt socialement nouveau.

Enfin, le fait de penser la création de formation avec des métriques est un changement culturel que le design thinking et la technologie permettent. Le design est un effet whaou, mais calculé et calculable avec des indicateurs de satisfactions tout au long du processus pédagogique. Ce qui permet d’opérer des boucles récursives. Si par exemple un grain de formation n’est pas à la hauteur des attentes, il s’agit de changer la séquence et/ou de demander aux apprenants comment il ferait pour changer la qualité de ce moment. Le design thinking c’est la création de la joie apprenante. Mais aussi, de supprimer les « points noirs » de la relation apprenante, qui ne crée pas de satisfaction, mais qui au final peut créer de la déception. Identifier et améliorer ces points noirs assurent un double avantage, augmenter la fluidité de l’engagement et surtout de dire combien l’apprenant est important dans ses avis donnés pour lui et surtout pour les futurs apprenants. Positif et négatif sont la clé de l’amélioration de la fidélité apprenante.

3, Le responsables de formation, doit-il être un design thinker ?

Le design thinking est une approche particulière pour innover en insistant particulièrement sur l’ergonomie de la formation et l’émotion de la pédagogie. Il s’agit d’une démarche qui ne doit pas être comprise comme un outil seulement, mais comme une redéfinition de la démarche de formation. Faire comme avant en changeant d’outils serait une vision à court terme qui nie les transformations qui sont en cours comme la redéfinition de l’apprenant face au savoir, les opportunités tech, l’horizontalisation de la chaîne de valeur, l’érotisation indispensable pour former,… et tant d’autres choses encore. Le responsable de formation de par sa légitimité sociale a non seulement le rôle de construire une cohérence apprenante, mais aussi de piloter un système avec des KPI qui se construisent au moment où l’on propose des pilotes. Le responsable de formation devient le gardien et le créatif des savoirs de l’entreprise.

Comment tout changer pour que rien ne change disait Visconti dans le Guépard ? C’est le travail du responsable de formation qui devient davantage un responsable de la transformation de la formation. Formation et transformation sont deux mots composés de la même racine la forme sociale des connaissances et des compétences. La clé de la réussite est d’avoir une vision et de choisir une technique pour assurer la transformation. Cela peut prendre bien des formes comme par exemple construire un espace de prospective comme une Université d’entreprise pour aborder des sujets d’actualité comme la pairagogie, l’IA générative, la sémiologie,… permet de penser le changement mais reste à construire une pédagogie du changement pour faire en sorte que ChatGPT deviennent une réalité dans le quotidien des formateurs avec par exemple la création d’un hackathon de l’IA ou une communauté apprenante ou même une formation. Tout est possible à condition d’avoir un pilote dans l’avion.

Le responsable de formation se doit d’être designer. Henry Ford avait l’habitude de dire cet aphorisme : « Si j’avais demandé à mes clients ce qu’ils voulaient, il m’aurait répondu des chevaux plus rapides ». Le design, ce n’est pas demandé, c’est proposer une solution originale. Steve Jobs avait une autre formule que l’on peut adapter aux apprenants : « Les clients ne savent pas ce qu’ils veulent tant que vous ne leur montrez pas ». Le travail du responsable de formation designer est d’avoir le courage de la proposition et surtout l’analyse de la réaction des early adopters dans un processus itératif d’ajustement permanent. Surprendre l’apprenant fait partie de son processus d’adhésion, c’est là l’effet waouh tant espérer dans les formations. Autrement dit la formation devient un moment à vivre, qui utiliser la pédagogie affective pour construire un parcours agile qui s’adapte non pas seulement aux attentes, mais à la réalité du moment. Penser la formation au futur et l’incarner au présent, une nouvelle façon de socialiser autour des savoirs.

Le design thinking est une approche relativement riche pour les responsables de formation. Là encore les mots ont parfois du sens dans la démarche design, certains insistent sur la rationalité du mot démarche là où d’autres choisissent la liberté du design. Sans trancher sur les trajectoires possibles, on peut rappeler que le mot design a deux sens, dessin et dessein. Il s’agit d’esthétiser la formation, la rendre belle autant que la rendre efficace. Mais aussi lui donner un sens, une finalité construire autant qu’une résonance ressentie. Le design est un autre regard sur la formation. Et dans ce moment de changement de paradigme, la clé est souvent de multiplier les regards pour augmenter sa vision des choses. Maurice Blondel avait cette belle formule : « L’avenir ne se prévoit pas, il se prépare », le design devient alors un militantisme pour une formation sociale plus incarnée centrée autour des apprenants. Chaque responsable de formation peut apporter sa couleur au monde, ce qui fait de ce moment un beau moment dans la formation.

Fait à Paris, le 06 février 2024

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