Le learner advocacy, la nouvelle tendance du marketing de la formation

par | 28 janvier 2025 | Marketing, Pédagogie, Responsable de formation

Le learner advocacy est le nouveau buzzword de la formation, littéralement, plaidoyer pour les apprenants. Il s’agit d’un signal faible dans le marketing de la formation, mais un signal qui fait de plus en plus parler de lui. Il s’inscrit dans la longue tradition de la relation apprenante et des learner experiences (LX) qui proposent une autre façon de penser la posture de l’apprenant. De quoi s’agit-il réellement ? Et surtout, s’agit-il un wording à la mode qui fera son temps comme d’autre n’ont vécu que ce que vivent les roses, l’espace d’un matin, ou s’agit-il d’un changement structurel qui va changer le visage de la formation durablement ? Comment l’entreprise doit se positionner face à cette nouveauté ? Et surtout comment ce concept doit être adapté pour développer un caractère opératoire nécessaire à l’intégration au sein de l’entreprise ?

1, De quoi s’agit-il ?

Le courant des user advocacies consiste à mobiliser les usagers pour en faire des ambassadeurs de la marque. On retrouve cette notion autour de deux livres complémentaires. Le premier est celui de Kathy Sierra, Badass, making users awesone (2015) qui l’utiliser dans une politique de customer advocacy, créer une communication avec ses clients pour les suivre dans leur usage du produit, il s’agit de transformer la promotion de la marque produit en une marque usage des clients et le faire devenir exceptionnels, « badass », balèze dans l’argot américain, en faire des « super users », des ambassadeurs. Et le second ouvrage est celui de Michael Brito, Employee advocacy, turning employees into brand advocates (2016) qui reprend la même démarche et l’adapte au monde des RH, mobiliser les collaborateurs pour qu’ils deviennent les ambassadeurs de la marque employeur. Cet ouvrage est un guide pour définir, développer et évaluer une politique d’advocacy.

La learner advocacy repose sur une politique de Learner eXperience (LX) mais rajoute le fait que les apprenants partagent leur expérience apprenantes pour devenir des défenseurs de leur formation et de leurs propres apprentissages. Pour reprendre la terminologie de Cathy Sierra, il s’agit de rendre les apprenants « badass », exceptionnel, et fiers de leurs acquis. Cette politique de learner advocacy est une autre façon de centrer la formation autour de l’apprenant, learner first. Là où Michael Brito propose des modes opératoires en proposant des métriques pour piloter le changement. Laisser l’apprenant devenir l’avocat de la formation est un enjeu essentiel pour encourager les apprenants potentiels à s’engager dans le parcours. L’impact du pair à pair est très efficace à condition de construire une politique de pilotage de la réputation perçue des formations et de faire des formations à la hauteur de l’engagement des ambassadeurs.

Faire de l’apprenant le porte-parole de la formation n’est pas culturellement dans la tradition de la formation qui préfère avec son Organisation Scientifique de la Formation laisser la main à l’expert ou à l’ingénieur pédagogique pour construire les formations. L’apprenant a longtemps été un enfant, étymologiquement, celui qui n’a pas le droit à la parole, pour aujourd’hui se voir solliciter et inciter à prendre la parole. Ce grand mouvement de l’émergence de l’ère des apprenants, consiste à donner la primauté, on pas à l’expert, mais à l’apprenant. L’apprenant est devenu intelligent dans la même logique que la foule est devenue intelligente. Le learner advocacy consiste à accompagner ce mouvement de transformation, d’horizontalisation de la formation. Mais cela veut dire aussi que l’apprenant est pertinent comme utilisateur pour donner son avis sur l’ensemble de la chaîne de valeur que ce soit le résultat final, mais aussi la pédagogie ou enfin l’organisation du service de formation. Une transformation culturelle de l’histoire de la formation.

2, Comment faire ?

La première étape, qui montre bien que l’on est dans le marketing, est de connaître ses apprenants. L’apprenant est la grande inconnue de la formation, on ne les connaît pas. Sont-ils satisfaits des formations que l’entreprise leur propose ? Et si c’est le cas, leurs attentes change tellement vite qu’il faut avoir « l’obsession de l’apprenant » pour paraphraser l’obsession client de Jeff Bezos, fondateur d’Amazon. Il parle des clients « merveilleusement insatisfaits » : « Même lorsqu’ils ne le savent pas encore, les clients veulent quelque choses de mieux, et votre désir de ravir les clients vous poussera à inventer en leur nom ». Si l’on remplace client par apprenant, la learner advocacy est une obsession de l’apprenant qui est toujours merveilleusement insatisfait, c’est ce qui doit pousser la formation à proposer des formations qui correspondent à leurs attentes qui sont parfois exprimées, souvent à inventer. Comprendre les apprenants, les réenchanter au-delà de leurs attentes, c’est l’assurance d’avoir des apprenants fiers de leur formation et qui auront envie d’en parler.

La deuxième étape est de construire la politique d’engagement des apprenants. Non seulement libérer la parole de l’apprenant, mais surtout en faire un producteur de contenu. Il s’agit d’une courbe d’apprentissage. Cela va de l’obligation d’évaluation qui donne une note globale sur l’ensemble de la formation, du like des moments forts de la pédagogie, du verbatim, qui incite l’apprenant à se dire, du Learner Generated Content (LGC), jusqu’à la pairagogie. Howard Rheingold est allé jusqu’à demander aux apprenants de construire ensemble le manuel de pairagogie, en 2012. La politique de l’engagement recouvre deux orientations complémentaires. La première est la médiatisation, créer des expériences apprenantes n’est plus suffisante, il est nécessaire de les médiatiser. Dans une société de la défiance, la parole des pairs a un poids social, que la parole de l’expert a moins. L’engagement des early adopters favorise l’engagement des autres. La seconde est en faire des apprenants des « auteurs » de leur propre formation, allant de la pédagogie des learners stories à l’ingénierie des apprenants.

La troisième étape est la construction de métriques pour assurer le pilotage. La pédagogie de l’engagement est favorisée lorsque l’apprenant a sentiment que son apport a servi à quelque chose. A quoi sert, du point de vue de l’apprenant, d’évaluer une formation ? Un enthousiasme ou un mécontentement, amènera-t-il une action particulière du service de formation ? Existe-t-il un service professionnel de réclamations des apprenants ? Autrement dit, si l’on demande aux apprenants de s’engager, le service de formation s’engage-t-il en retour ? Savoir faire est bien, faire savoir est mieux. L’évaluation n’est pas un projet en soit, quelle est la promesse formation faites aux apprenants ? Et quel est le bilan de l’engagement, comment valoriser socialement l’engagement ? Toutes les politiques sont bonnes à condition d’en avoir une.

3, Que peut-on penser du learner advocacy ?

Le learner advocacy est une réponse à un changement culturel majeur de la sociologie de la formation. La seconde partie de 20ième siècle s’est traduite par une politique d’émiettement de la formation (Georges Friedmann, Le travail en miettes, 1964), chaque apprenant avec les années 80 se trouve enfermé dans une relation apprenante individualisée. Cette idéologie qui trouve son origine dans le « maître intérieur » (Saint Augustin) ou le « je pense donc je suis, dans la forteresse de mes pensées » (Descartes) a pris une dimension nouvelle avec le numérique qui renforce l’émiettement des apprenants. Or, l’homme est ce que le paradigme dominant qu’il est pour en faire une réalité sociale. Aujourd’hui, Michel Maffesoli parle de la fin de cet individualisme pour en faire une « ère du Nous » (1988). La pédagogie est impactée par cette sociologie. La foule devient intelligente et la pédagogie prône la pairagogie. L’engagement de l’individu face au groupe devient le nouveau veau d’or.

Encore faut-il avoir des choses à dire. Inciter les apprenants à se dire est une chose encore faut-il que la pédagogie l’incite, c’est tout le travail des pédagogies affectives, l’effet waouh. La littérature parle de Learner eXperience (LX), faire vivre à l’apprenant une situation à fort impact émotionnel. Les première learner experience était individuelle avec des théories comme la théorie du flow, mais Mihaly Csikszentmihalyi le reconnaît lui-même (Flow, the psychology of optimal experience, 1990, et Flow, the psychology of happiness, 1992), le flow peut être aussi un outil de socialisation et d’apprentissage ensemble. La pédagogie devient la construction de territoires apprenants qui favorisent les communions apprenantes, Jean-Jacques Rousseau parle de fêtes apprenantes, où chacun participe dans une joie partagée. L’instant pédagogique partagé devient un outil qui favorise l’engagement et la montée en qualité de cet engagement.

Aujourd’hui, avec l’IA générative, l’engagement change de dimension, un apprenant seul peut produire de façon industrielle du contenu. L’engagement augmente en quantité et en qualité potentiellement. Reste à faire le travail de désirabilité pour favoriser la culture de l’engagement. C’est le travail du marketing de la formation, que nombreux observateurs appellent design de la formation, c’est-à-dire un marketing qui est plus émotionnel qui favoriser le passage à l’acte. L’engagement nécessite une animation, qui étymologiquement donne une âme à l’engagement, donner du sens. Ce travail de marketing, donner envie à l’apprenant, permet de faire le lien entre les désirs personnels et les choix stratégiques. Il s’agit de mettre en mouvement les apprenants et les rendre fiers de leurs apprentissages.

Le learner adocacy s’inscrit dans une politique d’horizontalisation des entreprises. Une fois choisit cette orientation reste à construire la politique de transformation. Olivier Zara avait cette belle formule, la transformation se fait soit par percolation soit par infusion. La première est brutale la seconde douce, tout dépend de l’urgence de la situation. Cette transformation peut se faire soit de façon incrémentale, ce que Imai Masaaki appelle le Kaisen (1986), des petites améliorations continues porté par les usagers eux-mêmes, soit de façon radicale ou disruptive avec des partenaires extérieurs et créer des programmes d’incubation de formation. Dans tous les cas, le responsable de formation reste le pilote de la formation et de sa transformation pour pouvoir faire plus et mieux et moins cher. Le responsable de formation est indispensable tant que la transformation sera nécessaire, le learner advocacy est un outil au service de cette transformation.

Fait à Paris, le 28 janvier 2025

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