Et si la meilleure arme du formateur n’était pas le savoir, mais l’illusion qu’il peut en donner ? Dans le monde de la formation professionnelle, on parle pédagogie active, blended learning, intelligence artificielle… Mais on oublie parfois un levier aussi ancien que puissant : la croyance. Comme un médecin administre un placebo capable de guérir sans traitement, le formateur peut déclencher un véritable processus de changement chez l’apprenant, au-delà du contenu qui lui est proposé. Que vaut vraiment une formation au-delà des indicateurs canal historiques ? Qu’est-ce que l’effet placebo nous propose pour faire évoluer la pratique métier ? Le placebo ? est-il une magie ou une nouvelle façon de voir les choses ? Que faire de ce phénomène ?
1, Comment définir l’effet placebo en formation ?
Le mot placebo vient du latin « je plairai », au Moyen-Age le mot a pris un sens figuratif, une personne qui cherche à plaire exagérément, souvent de manière hypocrite, le 19ième siècle en fait un mot de médecine, donner un médicament pour faire plaisir au patient, mais ce n’est qu’avec l’article de Henry Beecker (The powerful placebo, 1955) que son sens contemporain sera donné. Il analyse 15 études cliniques réalisées pendant la Seconde Guerre mondiale et observe qu’environ 35 % des patients montre une amélioration non pas liée à l’effet pharmacologique du traitement, mais à leur seule conviction qu’ils ont été traités. La croyance en l’efficacité d’un traitement peut déclencher une véritable réponse physiologique d’’amélioration. Même si les études ultérieures contestent le chiffre de 35 %, le phénomène est suffisamment massif pour l’intégrer dans les protocoles médicaux.
L’effet placebo est une amélioration de la situation attribuable aux attentes des patients plutôt qu’à l’intervention elle-même. Autrement dit, le simple fait de participer à une formation induit des attentes générant des effets indépendamment de la formation elle-même. L’importance de la croyance n’est pas nouvelle, déjà Albert Bandura en 1977 dans Self efficacy, the exercise of control, a montré que la croyance dans la possibilité de réussir, le concept d’auto-efficacité, est un facteur déterminant de la performance. Ainsi, s’inscrire dans une formation suscite un changement qui en partie repose sur la croyance en la valeur du dispositif et l’auto-projection dans une identité d’apprenant en réussite, Sigmund Freud parlera de sublimation de la formation. Autrement dit, l’objectivité de la formation se doit d’être pensée autrement pour être performante. L’effet placebo nous ramène au fonctionnement de l’apprenant.
Robert Merton dans « Social theory and social structure », 1957, développe la notion d’attente de rôle particulièrement intéressante dans le monde de l’entreprise. Dans toute société, les rôles sociaux des métiers sont associés à un ensemble d’attentes comportementales et normatives. L’individu en assumant un métier, intériorise ces attentes et tend à ajuster son comportement pour s’y conformer de façon souvent semi-consciente. Un formateur adoptera naturellement des attitudes de sérieux, de responsabilité, d’écoute parce que son rôle social l’exige. L’effet placebo bénéficie de ce phénomène : « je suis formé, donc je suis censé devenir meilleur », « je me comporte comme quelqu’un qui progresse », « je constate des progrès ». La formation doit investir sur le marketing de la formation avec la reconnaissance symbolique de l’expérience et valoriser l’identité professionnelle de l’apprenant.
2, Que dit la science ?
Fabrizzio Benedetti est un des spécialistes de l’effet placebo, il montre que l’effet placebo n’est pas seulement psychologique, il produit des effets biologiques mesurables (Placebo effects, 2014) avec la libération de dopamine qui augmente la motivation, l’attention et les capacités d’apprentissage ; d’endorphines qui réduit la douleur et favorise la sensation de bien-être ; réduit la production de cortisol, hormone du stress ce qui favorise un meilleur climat émotionnel et renforce les circuits attentionnels et mnésiques. L’effet placebo n’est pas faire croire, mais reprogrammer le cerveau pour faciliter l’apprentissage. « L’esprit est capable d’activer les mêmes voies biochimiques qu’un médicament actif ». Les formateurs mobilisent des mécanismes biologiques inconscients qui augmentent les performances des apprentissages.
Edward Deci et Richard Ryan ont montré (Instinsic motivation and self-determination in human behavior, 1985) que l’homme a besoin d’autonomie, de compétence, se sentir efficace et d’affiliation d’être ensemble pour avoir une motivation intrinsèque forte. Le sentiment de compétence influence l’apprenant à réussir son parcours de formation. « La compétence doit être nourrie pour que la motivation intrinsèque puisse s’épanouir ». Lorsque les apprenants reçoivent un feedback positif, cela a des conséquences sur leur performance. Edward Deci en 1971 avait mesuré qu’un feedback positif augmentait entre 25 et 30 % la persévérance dans leur projet. Robert Vallerand et Greg Reid l’a appliqué sur des étudiants arrive au résultat de 20 % de la motivation intrinsèque et de 15 % dans leur engagement comportemental : participation, effort observé en classe.
Si la mécanique est nouvelle, la situation est bien connue avec par exemple l’effet pygmalion. Robert Rosenthal et Leonore Jacobson en 1968 avaient administré un test de QI aux élèves. De manière aléatoire, sans que ce soit vrai, il on prévenu les enseignants qu’ils avaient identifié des hauts potentiels. Les enseignants ont changé leur vison, au bout de 8 mois, les hauts potentiels ont augmenté de 12 points leurs résultats, ce qui était encore plus marqué par les élevés plus jeunes. « Lorsque nous attendons certains comportements de la part des autres, nous agissons souvent de manière a rendre ces comportements plus probables ». « La réalité peut être influencée par les attentes d’autrui ». Le formateur en posture d’autorité influence les performances des apprenants en fonction de son propre regard sur l’estime de ses apprenants. Le formateur doit construire son crédit pour améliorer l’efficacité des formations. L’effet placebo est social.
3, Que peut-on en penser ?
Reconnaître l’existence d’un effet placebo dans la formation n’est pas pour autant une disqualification du phénomène. Il ne s’agit pas tant d’en faire une condamnation au nom de la manipulation, ou d’un dévoiement face à la formation objective, mais plus d’un levier pédagogique qui permet de favoriser les apprentissages. Instaurer une attente positive réaliste en amont de la formation, c’est marketer la formation, donner l’envie pour améliorer la performance. Il ne s’agit pas de manipulation, mais d’érotisation. Mettre en scène les premiers succès de l’apprenant est une façon d’organiser le sentiment d’efficacité de l’apprenant en s’appuyant sur la reconnaissance du groupe est un outil pédagogique qui accompagne la volonté de l’apprenant d’apprendre.
Il s’agit davantage pour reprendre le travail de terminologie de la Commission européenne et du CEDEFOP au début du siècle, de repenser la gouvernance de l’apprentissage formelle, celui est organisé de façon objective comme une journée de formation ; l’apprentissage informel, celui qui découle des activités professionnels sans intention particulière d’apprendre de la part de l’apprenant et l’apprentissage non-formel qui sont des activités planifiées non dédiées à l’apprentissage, apprendre au détour d’une réunion de travail. La création d’un écosystème riche de toutes ses composantes nécessite de construire des pédagogies nouvelle qui mixte le conscient et l’inconscient pour apprendre mieux. Le design pédagogique mixte la raison, l’émotion et la relation pour construire des parcours de formation plus humains.
Prenons un exemple parmi tant d’autres. Jérome Bruner propose la narrativisation de l’apprentissage (Acts of meaning, 1991). L’être humain donne du sens par le récit par opposition au seul mode logique. « Le récit organise l’expérience et la mémoire, guide l’action et construit le sens ». Le rôle de la formation devient de construire un récit. Reste à définir le type de récit : s’agit-il d’un récit social qui permet de construire des identités professionnelles, un récit personnel qui permet à chacun de se dire, un récit co-construit où l’apprenant devient un auteur de sa propre identité professionnelle ? Tout est bon à condition d’en faire pédagogie. Daniel Willingham (2004) a montré que le récit permettait de retenir entre 30 et 40 % de plus. Au pédagogue de faire ou de faire faire de belles histoires pour réenchanter les formations, mariage du conscient et de l’inconscient, mais assurément créateur de bien-être (Paul Zak). L’effet placebo nous rappelle que l’on ne connaît pas bien le fonctionnement de l’homme et qu’il faut construire avec ce que l’on connaît tout en restant ouvert à l’inconnu.
L’effet placebo de la formation nous enseigne que ce que les collaborateurs croient possible pour eux-mêmes détermine souvent ce qu’ils parviendront à accomplir. Ignorer cette dimension, c’est priver les dispositifs de formation d’une partie de leur puissance. Le travail de l’entreprise est de créer ce territoire apprenant où l’engament, la confiance et le positif sont activement cultivés. Il s’agit d’organiser le lien entre les identités personnelles et sociales. Edgar Morin attribue à Platon la citation : « Pour enseigner, il faut de l’éros ». Erotiser la formation, c’est introduire de la passion, du plaisir de l’émotion dans les processus d’apprentissage, rendre la formation désirable, et ce désir que le marketing sait si bien incarner est une source de performance, c’est ce que nous montre l’effet placebo. La formation doit se réinventer pour construire une communion apprenante autour d’une aventure partagé, faire de l’entreprise un lieu de challenge partagée qui relie l’individu et le collectif. « Il se dégage des rassemblements une exaltation, une chaleur qui transporte les individus au-dessus d’eux-mêmes et qui les fait penser et agir autrement qu’il ne feraient s’ils étaient livrés à eux-mêmes » (Emile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, 1912)
Fait à Paris, le 06 mai 2025
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