L’esprit de Noël en formation

par | 20 décembre 2024 | Marketing, Pédagogie, Philosophie, Responsable de formation, Sciences

L’esprit de Noël en formation est un oxymore, la magie de Noël s’entend mal avec la traditionnelle Organisation Scientifique de la Formation (OSF) qui a vu le jour à la fin du 19ième siècle et qui a fait les beaux jours du 20ième siècle. Alors pourquoi proposer un mariage de la carpe et du lapin ? Parce que le 21ième siècle émerge et que les définitions assurées d’antan sont en interrogation. L’émotion a fait son entrée avec la raison sensible, mais d’autres valeurs encore comme la joie apprenante, le partage, la générosité. Alors pourquoi pas une learning expedition dans les valeurs de Noel ? Une pédagogie de Noël a-t-elle un sens ? La magie de Noël, est-elle le rénchantement tant espéré de la formation ? Que faut-il penser de Noël en formation ?

1, La pédagogie du partage

Noël est le temps des cadeaux, du don, donner, recevoir. Alain Caillé a repris les travaux de Marcel Mauss pour l’enrichir avec ce qu’il appelle le « paradigme du don étendu » (L’esprit du don, Jacques Godbout et Alain Caillé, 1992). Alors que Mauss ne s’adressait qu’aux sociétés archaïques, Alain Caillé l’applique à nos sociétés contemporaines avec des notions comme la « réciprocité généralisée ». Le don est un rapport social fondé le fait de donner, de recevoir et de rendre. C’est une éthique de la réciprocité. Une formation fondée sur le don, est une formation qui insiste sur des valeurs de solidarités, de générosité et d’interconnexion. Les nouvelles formes de la formation résonnent sur une telle démarche. En effet, les courants de la pairagogies ne sont que des pédagogies qui favorisent le don, donner gratuitement son savoir entre pairs pour construire des apprentissages collectifs.

Le don est un autre nom de ce que la littérature appelle l’engagement de l’apprenant. Par son engagement, l’apprenant donne de donner de soi, de sa vision du monde professionnel pour construire un commun au plus près des réalités terrain. Cela va du verbatim sur un sujet particulier, au Learner Generated Content (LGC) où les apprenants apportent du contenu avec par exemples des situations rencontrées, ou encore la création de la pédagogie par l’apprenant lui-même. L’exemple d’Howard Rheingold qui demande à ses apprenants de construire le manuel de son cours (Peeragogy handbook, 2012), la symbolique du manuel est forte. La notion de don permet de regarder les choses sous un angle différent. Le don est une fonction naturelle de l’homme, Pierre Kropotkine parle de l’entraide (L’entraide, un facteur de l’évolution, 1902), d’autres de solidarités. Le partage désintéressé est une autre valeur, Alain Caillé en fait la possibilité d’en faire un contrat social nouveau, plus proche de sa définition de l’homme.

Pourquoi donner ? Pourquoi partager ? De nombreuses études ont proposé une explication assez simple. Prenons l’étude scientifique de Dunn, Aknin et Norton en 2008 qui est une référence (https://www.hbs.edu/ris/Publication%20Files/Does%20Spending%20Money%20on%20Others%20Promote%20Happiness_acc24566-c7c9-4f03-b918-9d25628264c8.pdf). Les participants avaient la possibilité de dépenser soit 5 $ soit 20 $, ils pouvaient soit donner soit garder pour eux. Le résultat est sans appel, les participants étaient toujours plus heureux quand il dépensait l’argent pour les autres et non pour eux-mêmes. Donner rend heureux, celui qui donne. Les neurosciences vont encore plus loin, avec deux circuits : en libérant de l’ocytocine, le partage renforce les liens sociaux, le sentiment de sécurité ; et en libérant de la dopamine, le partage active le système de récompense en renforçant un sentiment d’accomplissement et de fierté. Quelles que soient les études, le partage génère des émotions positives. L’esprit de Noël est un outil pour faire de l’apprenant un acteur heureux.

2, La pédagogie des rituels

Noël, c’est la nostalgie des rituels de notre enfance. Et les rituels sont importants. Emile Durkheim avait montré l’importance des rituels. Ils sont essentiels pour la cohésion sociale en renforçant le sentiment d’appartenance. « La société ne peut vivre sans s’enthousiasmer, sans une sorte de foi commune que les rites matérialisent » (Les formes élémentaires de la vie religieuse). Noel est un moment d’enthousiasme ritualisé. Que ce soit comme avant le solstice d’hivers, qui annonce que les jours vont s’allonger au détriment des nuits, que ce soit la nativité avec l’avènement d’un monde nouveau, l’important comme le disait Philippe Muray c’est de fêter la fête, de développer une liesse partagée, l’esprit de Noël. L’homme est homo festivus, mais aussi et surtout homo festivus festivus. Si la formation ne veut pas être hors-sol, elle doit tenir compte du social, certains parlent du sociétal. Mais le rituel va plus loin et cela a des conséquences pour la formation.

L’ethnologue français Arnold Van Gennep avait parlé des rites de passage (Les rites de passage, 1909) dans les processus de transformation. Victor Turner l’a adapté à la formation avec la notion de « liminalité » qui est la phase intermédiaire des rites de passage, le moment où l’apprenant passe d’une situation à l’autre. Le rite est formatif et transformatif. Il parle de ce moment particulier qu’il nomme « communitas » qui sort de l’état de structure normale pour construire un monde transitionnel où les distinctions sociales sont abolies, l’apprenant devient apprenant. Une forme d’humilité sociale, d’égalité et de camaraderie apprenante. L’apprenant suspend son rôle social pour apprendre et se soumettre à l’ensemble de la communauté, on parlerait aujourd’hui de bien commun qui symboliquement impose les rituels à ses futurs initiés. La communitas est un moment d’immédiateté, sans médiation sociale, qui permet de s’engager directement avec les autres. Victor Turner parle « d’intelligence », de « pleine conscience ». La communitas est le produit de l’évolution et de la maturation de la société elle-même.

Turner souligne que le rituel est un moment important dans la prévention des conflits. La fête développe des hormones du plaisir ocytocine, dopamine, sérotonine, mais elle permet aussi d’activer le système nerveux parasympathique qui favorise la relaxation et la récupération. Ce détachement du quotidien permet d’oublier les préoccupations pour se concentrer sur l’instant présent et se ressourcer pour revenir plus ne forme. La fête ritualisée, c’est aussi le moment, de gérer ensemble les épreuves sociales une résilience émotionnelle, tourner la page pour s’engager à nouveau. Il s’agit de tirer profit du groupe pour relativiser la charge de chacun, se mettre à distance de ses émotions pour développer de l’intelligence émotionnelle. La fête est cathartique, elle libère. Plus les moments sont difficiles plus les fêtes doivent être grandes. Noël est un moment, comme la formation pour se préparer à l’initiation et la transformation qui vient. La Renaissance numérique a besoin de ces moments pour humainement assumer ses transformations.

3, La pédagogie de l’émerveillement

Le mot merveille est étymologiquement ce qui étonne, ce qui sort de l’ordinaire. Le poète britannique Gilbert Chesterton avait cette belle formule : « Le monde ne mourra jamais par manque de merveilles, mais uniquement par manque d’émerveillement ». Reste à organiser cet émerveillement, c’est le travail du social. Noël fait partie de ces moments d’émerveillement. Et ma magie de Noël a ses techniques. Prenons les lumières, les guirlandes scintillantes, bien souvent de couleur or et rouge. Les designers ont appris que la lumière capte l’attention, surtout si elle clignote et que les couleurs rouge et or sont les couleurs qui développent le sentiment de chaleur, de sécurité et de convivialité. L’esprit de Noël, c’est une autre façon de porter son regard sur le réel et d’en faire une réalité qui est socialement partagée. Se laisser envoûter par cette histoire bienveillante. Bienveillance a deux sens, voir le bien, un prisme positif et bien voir, en toute lucidité… avoir conscience de l’instant présent.

La formation cherche à reconstruire ses moments d’émerveillement, créer des effets waouh pour les apprenants, la littérature parle de Learner eXperiences (LX). Ces moments qui sont source de performances en renforçant l’attention, la motivation, l’engagement personnel et la mémorisation des connaissances et des compétences. Daniel Kahneman l’a même théorisé avec la théorie du « peak and rule », la règle du pic et de la fin (Système 1, système 2, les deux vitesses de la pensée, 2011). Les apprenants ne se souviennent pas de l’intégralité d’une formation, mais deux moments clés : le moment le plus intense émotionnellement, le pic, et la façon dont la formation se termine, la fin. Le pédagogue organise sa formation atour de ces deux événements pour en faire un moment apprenant qui marque, le spectacle et la fête deviennent alors des moments d’engagement essentiels, des leviers d’Archimède pour les apprentissages, une pédagogie de l’émerveillement.

Gaston Bachelard dans « La poétique de la rêverie » (1960) propose d’aller plus loin que de s’émerveiller, en faisant de ses moments des rêveries collectives où chacun pourrait se projeter et inventer un monde nouveau partagé, l’espoir d’un monde meilleur, une intelligence collective rêvée. Noel deviendrait alors un moment de renaissance, d’émulation pour construire un espoir. Cela me fait penser à Guillaume Apollinaire qui raconte la noirceur de la guerre (Alcools, 1913), la violence des tirs de l’ennemi cachait la beauté des étoiles, « Ils éteignent les étoiles à coup de canon » et dans ce moment de ténèbres la voix d’un capitaine remobilise tout le monde avec son fameux « Il est grand temps de rallumer les étoiles » et ce fut fait. L’auteur de conclure « Et depuis ce soir-là, j’allume aussi l’un après l’autre tous les astres intérieurs que l’on avait éteint ». La magie de Noël est de cet ordre-là, allumer une communauté de destin, une envie de transformer le monde pour un monde meilleur. La formation devient le chemin de l’ambition.

L’esprit de Noël prend une place particulière aujourd’hui dans le monde de la formation avec la montée en puissance de la personne au détriment de l’individu. L’individu est étymologiquement la partie indivisible d’un système, l’homme comme brique élémentaire du système. L’apprenant indivisible était dans l’Organisation Scientifique de la Formation, l’apprenant rationnel, cartésien qui reste le paradigme dominant des professionnels de la formation, mais depuis les années 80, il est challengé par de nouveaux paradigmes dont la personne est particulièrement intéressant. La personne est étymologiquement l’être derrière les masques sociaux. Qu’est-ce que cela change ? L’apprenant change de représentation, la personne est non rationnelle, la littérature l’a construit comme émotionnelle, et c’est une nouvelle dimension qui s’introduit dans la formation. Déjà, les pédagogies deviennent affectives, mais cela va plus loin. Spinoza parlait de la puissance de la joie, comme moteur de la transformation, ce n’est pas seulement le chemin, mais c’est aussi la destination qui se réinvente. L’esprit de Noel est un beau moment qui offre de belles perspectives pour construire un monde meilleur. Voilà qui pourrait inspirer la formation. Noel est un prétexte, ce qui est écrit avant le texte, reste à la formation à écrire le texte.

Fait à Paris, le 23 décembre 2024

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