L’éthique de la performance, un socle social

par | 3 juillet 2025 | Pédagogie, Philosophie

La Révolution française est à la fois une éthique de l’émancipation par la formation et une éthique de la performance, avec la création de nouveaux standards.

Dans « Mesurer le monde, l’incroyable histoire de l’invention du mètre » (2005), Ken Alder rappelle qu’il existait plus de 250 unités de longueur avant la Révolution française. Le chiffre universel effaça les privilèges et les particularismes locaux au profit des standards nationaux.

« Le chiffre, dans la Révolution, devient un outil d’universalité, mais aussi de gouvernement » (Alain Desrosières, La politique des grands nombres, 1993).

Napoléon, qui a créé la fonction de préfet départemental, est le premier à avoir transformé le département en instrument administratif piloté par le chiffre.

C’est en 1860 que fut créé la Société de Statistique de Paris composé d’économistes et de fonctionnaire pour se doter d’outils de pilotage par le chiffre.

Le paradigme de la performance a trouvé un nouvel essor avec l’Organisation Scientifique du Travail, que Benjamin Coriat appelle la logique du chronomètre, tout mesurer.

La gestion administrative de la formation a suivi l’Organisation Scientifique de la Formation, et c’est avec la loi Delors du 16 juillet 1971, que le chiffre de l’OSF a rencontré la culture administrative de la fonction publique qui sous couvert de refinancement a imposé une technocratisation de la formation : on gère des flux, des dispositifs, des publics.

François Dubet avait cette belle formule : « L’obsession de la performance évalue tout et comprend peu » (Pourquoi changer l’école ? 1999).

Le chiffrage devient un rituel à produire des preuves pour exister.

Le mythe de l’objectivité des chiffres étouffe l’intelligence des pratiques.

« Les indicateurs se substituent aux finalités : l’index remplace le sens » (Yves Citton, L’économie de l’attention, 2014).

Il est marquant de noter que les dispositifs nationaux de formation ne sont pas accompagnés de calcul de mesure d’impact des mesures proposées, le dispositif existe de par lui-même comme une évidence, mais est-il efficace ?

Le pilotage macro de la formation devient un outil d’efficience sans efficacité.

Le problème n’est pas propre à la formation puisque, déjà en 2001, la LOLF (Loi Organique relative aux Lois de Finances) en appelait à des mesures d’impact obligatoires. La bureaucratie au sens de Michel Crozier a étouffé l’intelligence de la dépense.

Le chiffrage pour le chiffrage.

C’est la fin du travail bien fait.

« Le travail bien fait, c’est le travail respecté » (Richard Sennett, Ce que sait la main, la culture de l’artisanat, 2010).

C’est la fin de l’honneur professionnel.

Pierre Michon dans « Les maîtres et les serviteurs » (2002) évoque la formation comme un lien charnel et symbolique, plus un acte de filiation qu’un acte d’évaluation.

S’affilier à un métier est plus une expérience incarnée qu’une norme externe, fût-elle chiffrée.

L’identité professionnelle est une clé de performance grâce à une construction narrative et éthique du métier, fondée sur le regard des autres et la reconnaissance mutuelle (Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, 1990).

Si la volonté initiale de chiffrage était l’émancipation, donner accès à tous à la raison, la vérité des chiffres, son imposition, gouverner par la norme, gérer les masses en a fait perdre son sens.

Comment redonner de l’éthique aux chiffres ?

« Réintroduire de la narration dans les chiffres, c’est réconcilier l’humanité avec son pouvoir d’agir » (Cynthia Fleury, Les irremplaçables, 2015).

Erotiser la formation, lui redonner la fierté de sa raison d’être.

Fait à Paris, le 03 juillet 2025

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