L’histoire des compétences en formation

par | 4 juin 2024 | Pédagogie, Responsable de formation

La formation par les compétences est une valeur sûre de la formation. Elle s’est déployée au début de notre siècle, à tel point qu’elle devient même synonyme de formation. Avec un quart de siècle de référence, il est possible de porter un regard distancié sur la naissance de ce concept et surtout de son actualité. Que penser de la formation par les compétences qui remplace la formation par les connaissances ? L’économie de la connaissance laisse place à l’économie de la compétence. S’agissait-il d’une véritable révolution, et quel avenir porter à ce concept pour préparer l’économie de demain ? L’entreprise, doit-elle encore mettre la compétence au cœur de ses parcours de formation ou doit-elle promouvoir une nouvelle forme de formation ? Que faut-il en penser ?

1, L’histoire de la compétence

Le père fondateur de la gestion par les compétences est dans les années 70, le psychologue américain David McCelland qui travaillait sur la performance individuelle. Malgré quelques expérimentations industrielles, la France a pris le virage de la compétence en 1984 avec la CEGOS qui a organisé un colloque sur le thème « La bataille des compétences, l’éducation professionnelle permanente au cœur des stratégies de l’entreprise » (Yves Cannac et CEGOS, Editions Hommes et techniques, 1985). Le virage conceptuel fut engagé et c’est en 1999 que le virage opérationnel avec l’ouvrage du sociologue français Philippe Zarifian « Objectif compétence » un cadre conceptuel global qui permet un passage de la « cotation du poste » à « l’évaluation de l’individu » qui occupe ce poste. En 1998, le CNPF, lors des Journée Internationale de la formation, propose comme bannière à l’ensemble des journées le livre de Philippe Zarifian, reprenant d’ailleurs son titre « Objectif compétences ». Il donne ainsi une caisse de résonnance à la gestion par les compétences dans l’organisation et bien sûr dans la formation.

« La compétence est une intelligence pratique des situations qui s’appuie sur les connaissances » (Zarifian ;1999). Si l’on reprend l’étymologie de la compétence, il s’agit de la rencontre, rencontre entre la connaissance et l’action, il s’agit donc de l’aptitude à transformer la connaissance en réalité, une connaissance mise en situation, savoir et faire. C’est à partir de ce moment que le responsable de formation a commencé à se faire appeler responsable des compétences. C’est l’illustration de la montée en puissance de l’individu dans le processus de formation, avec son corollaire, la responsabilisation de l’apprenant qui devient acteur de ses propres apprentissages. Le point d’orgue de cette politique est la loi Borloo, 18 janvier 2005 la GPEC, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. L’avenir, la prévision appartient aux compétences. On peut noter qu’outre le fait que la GPEC a peu prévu, que la compétence a été abandonné en 2017 au profit des parcours professionnels, la GEPP. Toutes les modes passent…

D’ailleurs si la compétence née dans les années 70/80 est concurrencée par un nouveau concept, le talent. D’où vient cette nouvelle mode ? D’un rapport McKinsey, 1997, qui lance « la guerre des talents » (https://www.researchgate.net/publication/284689712_The_War_for_Talent). Le concept est relativement flou, mais répond à une nouvelle problématique dans la performance des collaborateurs, la montée en puissance des soft skills. Les responsables de formation commencent déjà à s’appeler responsable des talents. Et cela à une certaine cohérence, dans un monde en disruption le faire ce que l’on connaît n’est plus suffisant, il faut faire aussi ce que l’on ne connaît pas. Autrement dit, s’adapter, les talents sont des compétences anticipées. La formation s’étoffe de nouvelles formes avec la standardisation du changement. D’ailleurs, le numérique le Big data et la prédictibilité ouvre des perspectives nouvelles, mais la standardisation sociale reste à faire.

2, Une autre histoire…

Regardons une autre histoire qui a priori n’a aucun rapport avec la première. La naissance, il y a plus d’un siècle, du CAP, le Certificat d’Aptitude Professionnelle. Le CAP est né en octobre 1911, sous l’appellation Certificat de Capacité Professionnelle, CCP, qui sera requalifié CAP par la loi Astier en 1919. Pourquoi avoir créé ce nouveau diplôme alors qu’il existait déjà des Certificats d’Etudes Pratiques depuis 1893 ? Pour répondre à un besoin de main d’œuvre qualifiée dans l’industrialisation naissante et permettre aux ouvriers d’avoir une reconnaissance sociale. La création de ce diplôme a fait l’objet de nombreuses controverses. Le premier est dans l’appellation même de l’aptitude. Une capacité n’est pas une aptitude. L’aptitude est une potentialité alors que la capacité est une réalité. Cela ne change que peu, si ce n’est qu’un ouvrier capable est un potentiel et nécessite d’avoir une mise en situation avec l’expérience pour acquérir son aptitude et la différence est dans la rémunération. Autrement dit, les entreprises étaient réservées d’appeler le CCP en CAP pour ne pas accroître les coûts de l’entreprise avec des apprenants pas encore aguerris.

Le passage du CEP au CAP s’est traduit par la création d’une pédagogie en deux temps : un temps en entreprise et un temps à l’école. Et c’est ce temps qui posait problème. Les maîtres de stage de l’entreprise n’appréciaient pas le fait d’être jugé par des scolaires, même si à l’époque le personnel scolaire avait plus de crédit social qu’aujourd’hui. Il a fallu du temps pour s’apprivoiser. Cela a d’ailleurs permis de standardiser les gestes et postures autour de référentiels métier. La conscientisation des gestes techniques avec le CAP est une partie importante de l’acquisition des connaissances académiques. La partie scolaire avait et c’était là un plus gros chantier pédagogique un volet de culture générale. La culture générale est une idéologie qui s’appuie sur l’ambition de Nicolas Condorcet qui a servi de base idéologique à la Troisième République, faire de l’apprenant un citoyen autonome au sens de Jean-Jacques Rousseau. Une certaine idée de la formation et des apprenants.

La grande question de la culture générale dans la formation professionnelle, à l’époque, était de s’interroger sur le fait de savoir à quoi sert la culture générale pour exercer des compétences techniques ? Cela a-t-il toujours une actualité. Un rapport de l’OCDE qui montre que la durée moyenne d’une compétence technique est de 2 ans et qu’elle ne cesse de se réduire. En 1987, elle était de 30 ans. La connaissance technique est plus vite obsolète que l’a connaissance générale. Il s’agit alors de réactualiser souvent ses connaissances techniques et de favoriser l’autonomie de l’apprenant pour acquérir les ajustements de ses connaissances. La littérature parle d’apprendre à apprendre pour répondre à la disruption du monde. La notion d’obsolescence des compétences formalisée par Harold Kaufman en 1974 nécessite d’avoir des taxonomies agiles ce qui n’est pas facile pour construire des marqueurs sociaux reconnaissables dans le temps. La connaissance favorise l’agilité. Alors, c’est peut-être le retour de la connaissance dans les taxonomies de la formation professionnelle.

3, Que peut-on en dire ?

La compétence est une forme de la formation, elle pose sa construction pédagogique à partir de situations ou des problématiques concrètes de l’entreprise. Il s’agit d’apprendre à régler des problèmes soit avec des solutions standardisées, soit avec la construction de savoirs nouveaux, capitalisé pour que l’ensemble puisse profiter des expériences de chacun. La construction des savoirs se traduit par la construction des référentiels de compétences, c’est l’institutionnalisation de savoir. Que peut-on dire que la montée en puissance de la politique des compétences ? Si l’on observe les référentiels existant, par exemple les 4 800 certifications du RNCP, Registre National des Certifications Professionnelles, force est de constater il reste un gros travail pour structurer les titres par problématiques terrain pour les centrer sur les compétences. 25 ans, le lancement des politiques de compétence reste un gros travail d’adaptation des taxonomies centrée sur les compétences.

Les titres sont des engagements sur 5 ans minimum. Qui peut prévoir les compétences dont l’entreprise aura besoin dans 5 ans ? Personne n’avait prévu Chat GPT il y a seulement 1,5 ans ? L’institutionnalisation des compétences est à la fois le problème et la solution. Le problème est le phénomène bureaucratique, au sens de Michel Crozier, des processus qui se reproduisent par habitude, sans tenir compte de l’efficacité du système. Faire des cartographies qui ne permettent pas une réalité. L’AFFEN avait calculé avant le confinement qu’un diplôme Master 2 de responsable de formation ne correspondait qu’à 40 % du travail effectif attendu en entreprise. En période de disruption, les titres ne sont que des échos de compétences terrain. Mais, et c’est là la solution, même sur une carte ancienne, il est possible d’assurer un pilotage métier. Et cela permet de structurer les métiers autour d’appellation ancienne et d’assurer une employabilité reconnue socialement.

La connaissance, la compétence ou le talent, ce ne sont que des mots pour construire des politiques sociales. La controverse des Universaux nous a appris qu’il ne fallait pas confondre les mots et les réalités. La carte ne fait pas le territoire, elle permet de construire un chemin. La compétence pour remplacer la connaissance n’est qu’une volonté de centrer la formation sur l’apprenant plutôt que sur les contenus, de démailler une taxonomie pour en construire une autre, un changement de paradigme disait Thomas Khun, mais que la réalité est ailleurs. C’est tout le charme de la formation en entreprise, ce n’est pas tant de regarder les process, comme le fond les experts-comptables de la formation, mais l’opérationnalité, la lune contre le doigt. Que ce soit par connaissance ou par compétence, la formation est socialement en attente de communion apprenante de retravailler sur les désirs collectifs de la formation et que cela ouvre des perspectives de créativité extraordinaire pour la pédagogie qui colle aux besoins de l’entreprise.

L’érotisation de la formation est au cœur des politiques de transformation afin de mettre en place des politiques de transformations heureuses. Trans-formation passer d’une forme à une autre. Le travail du responsable de formation est d’abord organisationnel. Basculer de l’expert à l’apprenant, soit, mais comment ? Disrupter l’autonomie de l’apprenant avec Chat GPT, d’accord, mais comment ? La compétence peut être une approche, mais encore faut-il construire des référentiels et des pédagogies agiles, organiser la formation des savoirs. Apprendre est naturel à l’homme, former est social. Le rôle de l’entreprise est d’utiliser les dispositions pour dire à chaque apprenant, ce qu’il est bien d’apprendre, ce que Philippe Muray appelait « l’Empire du Bien ». Car aujourd’hui, ce qui est important ce n’est pas tant d’être formé à des savoirs de plus en plus obsolètes, mais de le faire ensemble. Le rôle du responsable de formation est de refaire du lien social autour d’une reconnaissance collective, celle d’être ensemble.

Fait à Paris, le 04 juin 2024

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