A la manière du journaliste Nicolas Carr en 2008 dans The Atlantic, « Google rend-il stupide ? (https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2008/07/is-google-making-us-stupid/306868/) ou dans son ouvrage « Internet rend-il bête ? » (2011) on peut s’interroger sur l’intelligence artificielle : l’IA rend-elle idiot ? L’idiot est étymologiquement cet homme vulgaire, sans éducation, qui ne participait pas à la vie politique de la cité. Depuis le 30 novembre 2022 et l’adoption de Chat GPT par le grand public, il est intéressant d’explorer les conséquences sur le monde de l’éducation et de la formation. Qu’est-ce que l’IA générative change vraiment ? S’agit-il d’une accélération du modèle existant ou d’une révolution qui renverse la table ? Faut-il réapprendre à apprendre comme certains le disent ? Et comment l’entreprise peut s’approprier cette problématique pour faire de l’IA Générative un progrès social ?
1, L’IA générative réinvente tout l’écosystème de la formation
L’IA générative qui est symbolisée par Chat GPT mais qui prévoit bien d’autres modèles qui sont environ estimés à plus de 500 dont les plus connus sont Gemini, Claude, Lama, et pour les Français Mistral AI et Kyutai. Qu’est-ce que ces LLM changent à l’offre de formation ? La première conséquence est la baisse des barrières à l’entrée de ceux qui veulent produire de la formation. Et tout particulièrement l’annonce faite, en mai 2024, de GPT 4o, le « o » étant omnimodal, c’est-à-dire qui touche tous les supports de formation : texte, image, audio, vidéo. L’omnimodalité est plus une promesse qu’une réalité, on devrait parler de multicanal, mais l’idée est lancée, avec un prompt, on peut créer toute forme de support. Un formateur seul peut créer un écosystème multisensoriel pour proposer une promesse formative. Et, au prix dérisoire de 20 € par mois. C’est du jamais vu dans l’histoire de la formation.
Déjà, le 30 avril 1993 avait marqué un changement dans le monde de la formation. Le CERN avait mis les brevets de son projet World Wide Web dans le domaine public permettant les développements que l’on connaît. La diffusion des contenus pouvait se massifier. Par exemple les MOOC, créer en 2008, pouvait être regardé dans le monde entier, la diffusion était libérée. Avec l’IA générative, comme son nom l’indique, la production s’en trouve aussi libérée 30 ans après la diffusion. La première réaction des acteurs de la formation devrait être de penser le nouveau monde avec les yeux de l’ancien, autrement dit créer tous les contenus classiques qu’ils n’ont jamais créer. Un formateur devient une bibliothèque à lui tout seul et les apprenants peuvent sans barrière à l’entrée profiter de sa bibliothèque. Le métier change à commencer par la pléthore de bibliothèque, de nouveaux agrégateurs devrait voir le jour comme à l’époque Altavista, Lycos, Yahoo,… pour structurer le métier.
Reste à structurer la filière. Que ce soit sur l’émulation de la création de l’offre, ou sur la création des économies de plateformes, tout est à réinventer. Même la régulation est à réinventer. Traditionnellement, avec l’Organisation Scientifique de la Formation, les experts de l’expertise définissaient d’objectifs en termes de connaissances et compétences, et la filière s’organisait pour répondre à cette planification. Avec la disruption, l’avenir devient plus complexe à anticiper. Si tout le monde est d’accord pour dire que Chat GPT va changer le monde, le comment reste très énigmatique. Faut-il former à des prompt enginer ou la machine fera suffisamment de progrès dans le langage naturel pour ne pas avoir ce métier ? Quelles connaissances mettre dans les data scientists ? Et comment les métiers traditionnels vont-ils évoluer ?
2, L’IA émiette encore davantage la formation
De nombreux philosophes, comme Jean-Jacques Rousseau ou Martin Heidegger, critique la technique, car elle change la nature de l’homme, son rapport au monde. D’autres en appel à ce nouvel homme et d’autres au regret de l’ancien. Sans rentrer dans ces débats, l’IA va-t-il changer la formation de l’homme, la question n’est pas nouvelle. Déjà, Socrate critiquait le livre qui représenterait un simulacre de savoir préférant la transmission par oralité, la bonne vieille méthode du maître. Chat GPT ou le formateur numérique est moins bien que le formateur traditionnel. Et pourtant le livre à ouvert non seulement une nouvelle façon d’apprendre, mais une nouvelle culture celle du débat quand elle sera massifiée avec l’imprimerie. C’est la renaissance qui s’est inventée. Pourquoi les agents conversationnels n’assureraient pas une fonction similaire avec une renaissance numérique ?
L’IA générative a une adoption sociale, particulièrement rapide en 2 mois après son lancement, le téléchargement a atteint plus de 100 millions, du jamais-vu depuis le lancement des API. A titre de comparaison Google Maps (Google) lancé en 2008 a mis 2 ans pour atteindre le même résultat. Et la voix avec Chat GPT 4o, c’est la voix qui rend l’ergonomie encore plus friendly. Historiquement, l’écrit date de 5 000 ans avant JC, la voix date de 500 000 ans au moins à 5 millions d’années avant JC, c’est un support plus naturel. Si l’on suit la potentialité des LLM, c’est un agent conversationnel formateur, le rêve numérique de Nicolas Condorcet d’une connaissance universelle pour tous. L’Utopie de l’émancipation individuelle et collective permettant à chacun de développer son esprit critique, l’émergence d’une société plus juste et plus égalitaire pour tous.
Les LLL américains assurent une standardisation des savoirs au niveau mondial. Outre l’interrogation sur la souveraineté des savoirs avec les biais liés à l’entraînement, le gros avantage des LLM est une culture de la formation avec la personnalisation des contenus qui s’adaptent aux besoins des apprenants tant au niveau des contenus que des pédagogies. Avoir un formateur 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 devient un atout majeur pour apprendre. La fiction de l’apprenant autonome s’en trouve flatté par la machine, s’il veut il peut. Le rêve de pulsion de savoir trouve enfin un exutoire. Mais le rêve n’est pas la réalité. Il n’existe pas de pulsion de formation. La libido n’est pas forcement sciendi. La pulsion de formation n’existe pas, il faut que la société la construise, c’est tout l’enjeu de la formation vs l’apprentissage, et donc il est nécessaire de ne pas laisser l’apprenant putatif seul face à ses apprentissages que la société appelle de ses vœux. L’IA est une potentialité de formation encore faut-il socialiser pour que cette potentialité extraordinaire devienne réalité.
3, L’IA pédagogique
L’IA est souvent perçue comme une façon de pousser du contenu en proposant une interface plus ergonomique qu’est l’agent conversationnel. Cette vision classique de la formation oublie le changement majeur de la sociologie de la formation, le pouvoir revenu aux apprenants et non plus aux experts. Avec les LLM l’apprenant peut devenir « auteur » de ses propres apprentissages (Ivan Illich). L’apprenant n’est plus contraint par les formes de la formation, mais c’est lui qui construit son savoir. Le potentiel est énorme reste à construire la réalité. C’est le travail de la pédagogie. Construire des territoires apprenants pour organiser ce que certains appelle l’intelligence collective ou d’autres la pairagogie. Cette potentialité prendra forme et mobilisera le potentiel de chaque apprenant en « érotisant » (Michel Maffesoli) ses apprentissages pour mobiliser plus de matière à apprendre.
Ce n’est pas sans poser de question ? Par exemple, comment lutter contre l’amnésie numérique ? Si l’IA est là pour nous accompagner pourquoi apprendre, il suffit de l’interroger. C’est le même phénomène que celui des Smartphone et des numéros de téléphone, avant chacun avait une liste de numéro mémoriser maintenant un ou deux c’est tout, on sait que tout est dans la machine. La mémoire externe qu’est l’IA pour l’homme devrait avoir les mêmes conséquences un changement de la structure du cerveau. Et une pédagogie nouvelle. On se retrouve avec une mémoire externe fiable, que reste-t-il à l’apprenant. Comme au moyen Age avec la scholastique, la pédagogie ne constituait pas tant dans la définition du contenu, la Bible était un livre saint mais dans son animation avec la lecture, les commentaires, la question et les discussions. Il suffit de refaire le travail de pédagogie.
La formation ne sera plus dans le stock d’information interne, mais dans la capacité de mobiliser les savoirs. Béatrice Mabilon Bonfils avait cette belle formule de « savoir-relation » (2018). Autrement dit la réflexion se mobilise pour créer un nouveau paradigme de penser. Une très belle réflexion de Nick Chater, Professeur en sciences du comportement propose la Théorie de la bêtise appelé aussi théorie de l’esprit plat (Et si le cerveau était bête ? Les nouvelles découvertes sur l’intelligence humaine, 2018), une théorie de l’intelligence de la surface, face à celle des profondeurs, qui neurologiquement ouvre des perspectives extraordinaires à la fois dans l’harmonie entre l’homme et la machine que dans de nouvelles façons d’apprendre qui ne résonne plus en stock mais en flux. Reste à organiser la pensée pour réformer les formes de la formation. Le travail social reste à faire.
L’IA rend il idiot ? Tout dépend de la définition que l’on donne aux choses. Cet homme sans éducation est-il moins intelligent ? Là encore la réponse repose sur une question de définition. L’IA n’est pas la solution, elle est la question. Qu’est-ce que l’on veut faire ? Et ce n’est pas à l’individu de construire ses formations (peut-être ses apprentissages), mais à l’entreprise de porter un projet qui mobilise les apprentissages. Finalement, l’IA est une proposition à retrouver une stratégie qui fasse rêver un collectif pour favoriser l’engagement avec ou non le concours du marketing de la formation pour diffuser cette envie, favoriser une communion partagée. Former est au service d’un projet, sans projet pas de motivation, au final, il suffit avec l’IA comme le proposait Guillaume Apollinaire : « Il est grand temps de rallumer les étoiles ».
Fait à Paris, le 15 octobre 2024
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