L’IA, va-t-elle révolutionner la formation ? Enquête sur un bouleversement en marche

par | 18 mars 2025 | Pédagogie, Responsable de formation, Technologie

L’IA est révolutionnaire. C’est en tout cas ce que disent des hommes d’affaires comme Warren Buffett : « L’intelligence artificielle va changer notre monde plus que tout ce que nous avons vu jusqu’à présent » et des scientifiques comme Stéphane Hawking physicien corroborent : « La création d’une intelligence artificielle sera le plus grand événement de l’histoire de l’humanité ». La presse regorge de ce type de citations. La révolution est en marche et chacun doit s’y engager pour ne pas être dépassé voir pour saisir les opportunités de cette disruption. Les early adopters sont les leaders de demain. La révolution est économique et sociétale, elle touche tous les domaines. Il est légitime alors de s’interroger sur son impact dans le monde de la formation. Qu’est-ce que l’IA va changer dans la formation ? Qu’est-ce que peut-être le « jamais-vu » de l’IA ? Que faut-il penser de ces transformations métier ?

1, La gestion administrative réinventée

La formation connaît un enfermement bureaucratique, au sens de Michel Crozier (Le phénomène bureaucratique, 1963), qui privilégie l’efficience à l’efficacité, la culture du process. Il ne s’agit plus tant d’évaluer la pertinence de la formation que d’évaluer la manière de la réaliser. Et c’est le courant de l’assurance qualité qui est appelé avec un auteur majeur Philip Crosby qui propose dès les années 70 (Quality is free, 1979) d’où est né le « Zero defect » une exigence absolue de perfection, la qualité parfaite avec un corpus de mesures et de normes de performance pour piloter cette exigence. Cette culture administrative est renforcée par le numérique, l’outil est au service de l’Organisation Scientifique de la Formation (OSF). La data devient big, et permet donc de multiplier à l’infini les traitements des données, faire des métriques, des normes et des pilotages en temps réel, une rationalisation rêvée par l’OSF.

Qu’est-ce que l’IA peut changer à cette situation ? De nombreux experts pensent que 2025 sera l’année des agents ou des assistants numériques. Déjà Amazon annonce le 26 février 2025 le lancement d’Alexa + pour 19,99 € par mois et gratuit pour Amazon prime, et Manus AI, startup singapourienne, très présente en Chine va encore plus loin en proposant une gestion de projet gérer par IA, autrement dit un agent numérique qui manage d’autres agents numériques en toute autonomie. Quelles conséquences pour la gestion de la formation ? Les tâches administratives qui sont chronophages et de faibles valeurs ajoutées seront déléguées à des assistants numériques qui sont bien adaptés à des process standardisés : création de tableaux de bord, recherche et réponse à des appels d’offres, recherche et réponse à des financements, qualiopi,… Le responsable de formation sera libéré de ces activités ne devenant que le superviseur de l’IA. Comme pour Chat GPT, l’ergonomie et la performance accrue augmenteront son acceptation sociale. Et bonne nouvelle administrative, l’IA réduira les frictions administratives.

La conséquence première sera la croissance du phénomène administratif, mais le désenchantement du process bureaucratique sera délégué aux machines, ce qui se traduira par encore davantage d’assurance qualité de la formation. Cela, est-il négatif ? Pas forcément, l’administration robotique augmentera la fiabilisation des process. L’IA est capable d’analyser beaucoup plus de données que l’humain et qu’au sein des entreprises seulement un tiers des données disponibles sont analysées. L’IA pourra facilement analyser l’ensemble des données, et même en générer davantage démultipliant ainsi le processus d’analyse des données. La qualité de l’analyse sera sans comparaison, qu’elle soit historique ou prédictive. Mieux l’IA de l’entreprise sera capable d’engager le dialogue avec l’IA de l’administration pour assurer une fluidité dans le partage de données. L’IA devrait renforcer les indicateurs de qualité et permettre ainsi le renforcement du processus de conformité aux normes de l’administration.

2, La pédagogie libérée

L’IA s’affiche omnicanal, ce qui permet de construire un écosystème multicanal. Le multicanal signifie plusieurs formes de support, le cross canal et encore d’avantage l’omnicanal permet d’augmenter le mix pédagogique et de créer ainsi un écosystème apprenant. Si l’on prend Chat GPT Voice, qui permet une interface d’entrée par la voix, l’ensemble de la conversation est automatiquement retranscrite sous forme de texte. La voix appelle le texte. Inversement, si l’on prend le cas de Notebook LM le texte génère la voix. Il suffit de déposer un texte, un rapport, un livre pour générer automatiquement un podcast sur le document où l’on entend deux personnes qui discutent sur l’intérêt de l’ouvrage, la transcription est automatique. Et c’est sans parler des techniques de text to video ou de text to picture qui nécessite encore la maîtrise du prompt, mais qui demain devrait être encore plus fluide.

Qu’est-ce que cela change pour la pédagogie ? La machine peut générer automatiquement des supports, chacun pourra sur simple prompt développé du contenu pédagogique. Dès que les problèmes techniques de transcription multicanale seront réglés, il suffira de demandé un MOOC ou une Masterclasse pour générer ces supports. La première conséquence sera l’inflation des supports. Chaque entreprise, chaque formateur pourra créer sa propre pédagogie grâce à l’IA que ce soit sur la définition des objectifs ou sur le cheminement pour l’atteindre, la qualité des supports sera accrue, une pédagogie à la demande de qualité. Et grâce au RAG (Retrieval Augmented Generation, génération augmentée de récupération) les formes des supports, les formes de la formation reste spécifique à chaque entreprise. C’est la fin des barrières à l’entrée pour la création des contenus. Et le modèle de la formation s’en trouve réinventé. Il ne s’agit plus de créer des bibliothèques de contenu que de créer des contenus en temps réel. La pédagogie n’est plus dépendante du stock, mais du flux, une adaptation jamais vue.

Cette capacité nouvelle doit être mise en perspective avec le learning data. L’IA va générer de la data numérique qui au sein d’une politique de Big data va permettre de mieux comprendre, voire d’anticiper les attentes de l’apprenant. Le machine learning va permettre aussi de construire des indicateurs d’impact de la formation, le fameux ROI de la formation. Cette recherche de retour comptable sert de base au pilotage et à l’optimisation de la formation. La collecte de la donnée hors formation, comme l’impact économique, permet de réaliser le vieux rêve de la comptabilité formative, analyser l’ensemble du process de la conception à son efficacité, voire même à une anticipation fiable de son efficacité. La nouveauté ne tient pas tant à ses techniques qu’à son accessibilité, son ergonomie, qui permet la démocratisation de son usage social. La pédagogie prend une nouvelle dimension, chacun peut devenir pédagogue.

3, L’apprenant libéré

Si la pédagogie se libère au point d’ouvrir des opportunités nouvelles à l’ensemble des professionnels de la profession, de par sa simplification d’usage tout à chacun va pouvoir s’approprier cette pédagogie, même l’apprenant. Au point que l’apprenant change de statut et pour reprendre le mot d’Ivan Illich, il peut devenir « auteur » de ses propres apprentissages (Une société sans école, 1971). Qu’est-ce que cela pourrait changer ? L’inflation décentralisée des contenus se traduirait par une anarchie de la formation où chacun créerait les contenus qu’il veut. Anarchie signifie étymologiquement dénué de commencement, autrement dit une absence d’autorité préalable, permettant à chacun d’être sa propre autorité, autonomie de l’apprenant. Pierre-Joseph Proudhon avait cette belle formule : l’anarchie est une forme de gouvernement sans maître ni souverain (Qu’est-ce que la propriété, 1840), l’apprenant n’est plus dirigé, il se dirige au gré de ses besoins et/ou de ses envies.

Qu’est-ce que cela change si l’apprenant devient son propre pédagogue, son propre formateur grâce à la machine ? La première conséquence serait la désintermédiation, l’IA permet de se passer des corps intermédiaires de la formation. Plus que jamais la pédagogie augustinienne (« Le maître intérieur ») permet de construire une liberté nouvelle dans la formation. Elle supprime la verticalité traditionnelle, ce qui ouvre une nouvelle posture au savoir. Chacun pouvant reconstruire sa propre taxonomie, le savoir perd une de ces composantes, la dimension sociale pour faire émerger une taxonomie horizontale. Que ce soit avec Arne Naess qui parle de « deep écology » centré sur la personne ou Michel Maffesoli qui parle de « écosophie » centré sur le sociétal, les auteurs propose des paradigmes nouveaux. On peut remarquer que l’IA par son processus d’entraînement sur l’existant devient le gardien du temple, celui qui garde la mémoire des hommes. L’apprenant n’apprend pas à partir d’une feuille blanche (John Locke, 1690).

L’apprenant libéré ne signifie pas apprenant libre. Sheena Lyengar dans l’Art de choisir (2010) reprenait une étude menée par Mark Lepper qui comparait deux stands, un avec 24 variétés de pots de confitures et un autre avec six, plus de clients s’arrêtait devant le premier 60 % contre 40, mais seulement 3 % achetait contre 30. Trop de choix tue le choix. Barry Schwartz va plus loin en disant que la liberté, l’excès de choix peut générer une anxiété à choisir (Paradoxe du choix, 2004). Si l’on rajoute l’envie de faire comme les autres, l’apprenant a besoin d’être accompagné dans ses choix. Pour permettre à l’apprenant d’exercer sa liberté, il faut engager une érotisation de la formation, construire une désirabilité sociale pour favoriser le passage à l’acte. L’IA loin d’émietter l’apprenant est un appel à sa resocialisation, les communions apprenantes deviennent le moteur de l’apprenant. L’érotisation ou le marketing de la formation deviennent les nouvelles formes de la formation. Le responsable de la formation devient un créateur des désirs apprenants partagés.

L’IA pose plus de questions qu’elle n’apporte de solutions. La nouvelle posture de l’homme face au savoir est en fait une posture de l’homme face à la machine. Ray Kurzweil propose une singularité, une fusion de l’homme et de la machine (Humanité 2.0, 2005), un des courants du transhumanisme, un dépassement des capacités humaines actuelles. Quelles que soient les évolutions, l’IA a besoin de refaire société autour de ces questions. Comment associer les performances extraordinaires promises et les envies actuelles ? Loin de trancher, l’IA nous appelle à notre humanité et à faire le choix de notre devenir. Entre rêves et réalités, l’entreprise à une carte à jouer pour donner corps à une utopie sociale en devenir, faire sens dans le réel pour que chacun puisse se transformer ensemble. La force de l’homme n’est pas dans son individualité, mais dans son collectif. Et qui sait pourquoi par profiter de l’IA pour redonner corps à cette idée ancienne de la formation pour tous chère à Nicolas Condorcet ?

Fait à Paris, le 18 mars 2025

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