La formation et l’immersivité ont une longue histoire de proximité. Avant le mouvement séparatiste qui a dissocié le lieu de formation du lieu de travail, la formation était par définition immersive puisqu’elle se déroulait dans le lieu de travail même. Avec le séparatisme, la formation a développé une immersivité présentielle avec les jeux de rôle pour simuler les situations opératoires. Le numérique donné une nouvelle dimension à l’immersivité, refaire une réalité plus vraie que le réel. Les potentiels sont extraordinaires au point d’en faire un vertige pédagogique, pour paraphraser le livre de Michèle Descolonges (2002). Que faire de toutes ses potentialités ? Comment intégrer les innovations constantes que l’on voit dans la trajectoire immersive ? Qu’est-ce que l’entreprise doit faire cette immersivité ?
1, Qu’est-ce que l’immersivité numérique ?
Traditionnellement l’immersivité numérique se compose de trois éléments complémentaires. Le premier est l’immersivité sensorielle qui est sans doute la plus connue grâce aux technologies comme les casques de réalité virtuelle ou de réalité augmentée, auquel il faut ajouter des éléments comme le retour haptique ou l’immersivité olfactive. Le retour optique signifie étymologiquement sensation relative au toucher. Il peut prendre plusieurs formes comme la vibration ou le retour de force dans les usages des objets. Le corps avec des capteurs sensoriels renforce l’expérience immersive. Aktronika a lancé Skinetic, un gilet haptique pour 350 €, il développe une learner experience particulière. L’apprenant peut ressentir physiquement l’impact des balles, mais aussi le vent qui souffle ou la pluie qui tombe. Si l’apprenant se penche en avant, il ressent le vent que dans le dos par exemple. L’expérience numérique s’en trouve renforcée. La source principale de captation sensorielle étant la vue, les casques ou les lunettes numériques sont des outils d’immersivité qui ont un bel avenir.
La deuxième composante de l’immersivité est l’immersivité cognitive avec l’implication attentionnelle, l’engagement intellectuel et la fluidité cognitive, la facilité avec laquelle l’apprenant navigue et interagit avec l’environnement. Les outils de XR (réalité virtuelle et réalité augmentée) sont une simplification, un simulacre de la réalité, ce qui est un atout dans la formation. Une étude menée par l’Université de Tilburg (2019) mesure par électroencéphalogrammes (EEG) les ondes alphas dans les zones du cerveau associé à la concentration et à l’engagement (https://speedernet-sphere.com/2024/10/04/impact-realite-virtuelle-cerveau-avancees-formation/). Cette simplification de l’environnement permet au cerveau de mieux se concentrer sur l’expérience virtuelle, évitant ainsi les distractions du monde réel. L’immersivité cognitive augmente la performance de la formation. Le cabinet PWC estime dans une étude de 2024 (https://www.pwc.com/us/en/tech-effect/emerging-tech/virtual-reality-study.html) que la VR permet d’apprendre 4 fois plus vite comparativement aux méthodes d’apprentissages traditionnelles.
La dernière composante est l’immersivité sociale en proposant un univers pédagogique ou l’apprenant apprend ensemble. L’expérience immersive repose sur les interactions entre les apprenants. L’immersivité est née du gaming. Le premier jeu numérique multi-joueurs est né en 1958 avec Tennis for two avec un oscillateur comme écran, mais c’est avec les années 90 que les jeux massivement multi-joueurs (MMO, Massively Multiplayer Online) ont donné le véritable potentiel de l’immersivité sociale. Reste à organiser la pédagogie pour favoriser la participation, construire une histoire qui permet d’être pris dans l’expérience. La compétition ou la coopération permettent d’utiliser l’autre comme un outil d’apprentissage. L’engagement social est émotionnel avec l’intégration d’équipe autour d’une histoire qui fasse sens pour tous et d’une pédagogie qui répond aux attentes des apprenants, une grammaire et une histoire.
2, Quelles conséquences pour la formation en entreprise ?
La première conséquence pour la formation qui a investi dans la XR est le fameux effet waouh. Aujourd’hui, en France, seulement 7 % des foyers sont équipés d’un casque de réalité virtuelle. Ce qui qui veut dire que 93 % des foyers n’en ont pas. Autrement dit, sur les 93 % une majorité n’a jamais essayé des casques particulièrement des casques récents avec des puissances graphiques qui n’ont à voir avec les premières versions. La puissance de l’expérience numérique a un effet d’attractivité pour les apprenants. Mais la puissance du numérique tient aussi au réalisme de son univers. Il est possible de reproduire le quotidien de l’entreprise tout comme de construire des mondes magiques. Dassault Systèmes propose des activités virtuelles patrimoniales qui vont des Grottes de Lascaux, la pyramide de Kéops ou Notre-Dame de Paris. Tout devient possible même l’impossible. Walmart a formé en immersion son personnel au black Friday, un moment d’hystérie qu’il est impossible de reproduire hors de la XR. La XR augmente le domaine des possibles de la formation.
La XR est un outil, reste à construire la pédagogie qui va avec. James Paul Gee (What Video Games Have to Teach Us About Learning and Literacy de James Paul Gee, 2003) montre que le jeu vidéo a une grammaire qui transposable dans le monde de la formation. Jean-Paul Gee montre que les jeux vidéo encouragent un apprentissage actif où les joueurs doivent comprendre et interagir avec les « domaines sémiotiques » pour pouvoir jouer. L’auteur affirme que le jeu est plus efficace que les méthodes d’enseignement traditionnelles grâce à la résolution de problèmes, l’expérimentation et la collaboration sociale. L’apprenant joueur peut acquérir des compétences transférables hors du jeu, y compris dans le monde de l’entreprise. Le déroulé du jeu est comme la pédagogie un cheminement pour atteindre un objectif, à condition d’avoir un déroulé qui répondent à l’interactivité de l’apprenant. Le déroulé du jeu permet de construire un déroulé de formation avec une mécanique de participation déjà expérimenté. Reste à faire des parcours apprenants en serions game qui soit plus gaming que serious.
La réalité immersive développe ce que Mihaly Csikszentmihalyl appelle à partir des années 90, le flow qui est traduit littéralement par la théorie du flux, ou expérience optimale qui est un état de concentration maximal, d’engagement et de satisfaction. L’expérience immersive se caractérise par une absorption totale des apprenants par leur activité. L’immersivité augmente la concentration de l’apprenant qui apprend plus et plus vite. Reste à en faire pédagogie. Les pédagogues traditionnellement structurent les parcours des apprenants rigides permettant aux apprenants de sinuer sur les cartographies des compétences prédéfini, en situation relativement stable cela permet la massification de la formation. Mais aujourd’hui les apprenants préfèrent être à minima acteur de leur formation, autrement de la construction de leur formation avec des phases de co-construction ou de pairagogie. L’immersivité permet de construire des expériences collaboratives riches en partage plus incarnée. Autrement dit, la pédagogie doit faire son travail pour construire son immersivité.
3, Que peut-on en penser ?
L’immersivité ouvre des perspectives dans le domaine de l’évaluation. Au choix traditionnel de niveau ou de complétude, l’immersivité ajoute des éléments comme le mouvement ou les réactions émotionnelles qui étant numériser permettent une traçabilité nouvelle et beaucoup plus efficace. Les compétences prennent une forme nouvelle. Les eyes-trackers par exemple permettent d’analyser le mouvement des yeux, de la pupille ce qui devient une source d’information pour les processus apprenant tant sur ce que l’individu regarde que ce qu’il ressent, sa capacité de concentration ou encore sa charge mentale. Cela permet une ergonomie nouvelle des parcours apprenant. Ces politiques de big datas posent des questions d’acceptabilité sociale et dans une société de la défiance, il est nécessaire de construire la confiance avec une politique de transparence, avec une question stratégique, qui doit piloter la data, l’entreprise ou l’apprenant ? L’anonymisation et le quantify self sont des outils majeurs pour construire une évaluation plus éthique socialement.
L’immersivité est-elle le nouvel Eldorado de la formation ? L’immersivité souffre de barrières à l’entrée. La première est sans doute le coût de l’appareillage. Un Meta Quest 3 coute approximativement 400 €, l’Apple vison pro 4 000 €. Si l’on équipe l’ensemble du personnel cela nécessite que la valeur métier absorbe une telle somme, il est plus facile de la faire pour des métiers à forte productivité qu’à basse qualification. L’investissement peut freiner un service de formation qui cherche à optimiser ses budgets. Et si l’on rajoute l’obsolescence de l’appareillage, chaque nouvelle version permet d’aller plus loin dans l’expérience immersive, mais nécessite aussi de changer l’ensemble du parc des supports. La barrière à l’entrée devient un frein à la croissance du secteur. Le numérique immersif se trouve concurrencé par des supports alternatifs un Zoom, Teams, Facetime ou autre permet à moindre cout de pallier à l’immersivité. L’immersivité a donc un devoir de faire une Learner eXperience (LR) à la hauteur de ses coûts.
Une autre barrière à l’entrée en XR dans la formation est son manque l’absence d’agilité pédagogique. Les coûts de production sont très importants si l’on veut une qualité graphique qui fasse l’effet waouh, cela renforce la barrière à l’entrée des supports. Mais il n’existe pas de standardisation des formats limitant ainsi la portabilité des pédagogies. Entre un Méta Quest, un HTC Vive, un Microsoft Hololens, il n’existe pas de compatibilité. Changer de support nécessite de tout recommencer, et comme on ne sait pas quelle technologie va s’imposer le risque est fort de faire exploser le budget. Mais le plus gros inconvenant est que l’avenir appartient est que l’écosystème des créateurs de contenu est faible, ce qui a fait le succès de l’IPhone, c’est iTunes avec des killer apps. Et là l’adoption sociale est forte. C’est la démocratisation de contenus qui assure le succès. L’intelligence artificielle pourrait être un auxiliaire de taille puisqu’elle devient de plus en plus capable de coder à la demande, sur simple prompt. Les possibilités sont impressionnantes et si les usagers prennent la main sur les contenus, l’immersivité deviendra une pédagogie virtuelle massive.
La réalité virtuelle n’est pas tant une solution qu’une question, et au final, il s’agit des mêmes questions qui interrogent le présentiel. Il ne s’agit pas tant d’opposer les modalités que de construire des écosystèmes apprenant qui répondent aux besoins stratégiques de l’entreprise. Le virtuel, étymologiquement ce qui est en germe, réinterroge la nature de la formation que l’on désire. Le responsable de formation n’est pas un acheteur de machine, mais un créateur de compétences ou de talents. Qui définit les compétences ? Qui construit les pédagogies ? Qui évalue les formations ? Les experts comme aux 20ièmes siècle ou les apprenants ? Rien que l’immersivité aussi attrayante soit elle ne puisse aborder ? Le social prime sur le technique.
Fait à Paris, le 18 février 2025
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