PIAAC, la place de la France

par | 14 janvier 2025 | Économie, Marketing, Pédagogie, Responsable de formation

La bataille des compétences a débuté en France en 1999 avec le livre du sociologue Philippe Zarifian (Objectif compétence) et les Journées internationales de la formation (Centre National du Patronat Français, Deauville, 1998). La compétence est un atout international comparatif, à condition de pouvoir se comparer. C’est dans cette démarche que le PIAAC a organisé des statistiques internationales de la compétence. Le 10 décembre 2024, une nouvelle vague d’évaluation des PIAAC a permis de classer les pays participants, suivant leurs résultats. Où en est la France en matière de compétences ? Comparativement, sa qualité d’antan est-elle toujours une réalité ou un mythe socialement entretenu ? Que faut-il en penser de la « PIAAC mania » dans le monde de la formation professionnelle ?

1, Qu’est-ce que les PIAAC ?

Les PIAAC (Program for the Intenational Assessment of Adult Competencies) sont un programme d’évaluation des compétences des adultes initié par l’OCDE en 1999 au moment où l’Europe adoptait la Stratégie de Lisbonne (2000) centré sur l’économie de la connaissance et non pas l’économie de la compétence et où Eurostat proposait une comparaison européenne. L’OCDE a construit ex nihilo une méthodologie véritablement internationale pour lancer un premier cycle de collecte de données entre 2011 et 2012, résultats publiés en 2013. L’adhésion de nouveaux pays a nécessité de recalculer la place des nouveaux, on parle alors d’extension au Cycle 1. Le Cycle 2 a collecté des données entre 2021 et 2022, période post-COVID, pour une publication le 10 décembre 2024 pour 31 pays. Il s’agit donc d’un événement majeur puisqu’il n’y a eu que 2 cycles internationaux dans le monde des compétences internationales. On peut rappeler que l’étude concerne 31 pays et que l’ONU recense 195 pays dans le monde.

De quoi s’agit-il ? L’étude analyse les compétences des adultes âgés entre 16 et 65 ans, autrement dit la définition de la population active du Bureau International du Travail adopté depuis 1982. La borne de 65 ans est à questionner puisque de nombreux pays ont programmé les départs à la retraite à 67 ans, on peut aussi citer le cas du Danemark qui prévoit comme borne 69 ans en 2035 et 70 en 2040. Il y a donc sans doute une sous-appréciation de la place des seniors. L’OCDE analyse trois types de compétences : la littératie, la numératie et la résolution de problème dans un environnement à forte composante technologique. La littératie va au-delà du simple fait de savoir lire et écrire mais de la compréhension de l’information écrite pour participer pleinement à la vie personnelle et professionnelle de l’adulte. La numératie va, quant à elle, au-delà des calculs pour évaluer, depuis les années 1990, les « mathématiques en contexte » de la pratique sociale. La résolution de problèmes dans un environnement à forte composante technologiques est la capacité pour l’adulte d’utiliser les technologies numériques et d’avoir une compétence de communication numérique.

Les PIAAC sont souvent mis en parallèle avec les comparaisons de la formation initiale internationale, ce qui est assez logique. L’éducation nationale d’aujourd’hui sera la formation professionnelle de demain. Le plus connu de ses indicateurs réalisé par l’OCDE est le classement PISA, programme international pour le suivi des élèves de 15 ans sur la lecture, les mathématiques et les sciences. La France se classe 23ième en mathématiques, 28ième en lecture et 26ième en sciences sur 85 pays (chiffre de 2022). En dynamique, on relève une baisse de 21 points par rapport à 2018 avec une baisse tendancielle de plus long terme. Ce qui est corroboré par les classements TIMMS toujours de l’OCDE pour les élèves de CM1 la France se situe en 42ième place et en 24ième place pour les élèves de quatrième, et dans les deux cas, dernière des pays de l’Union Européen. On parle parfois des données des PIRLS (Progress in Inerlational Reading Literacy Study) où la France pour les élèves de CM1 connait une légère amélioration. Le gros avantage de toutes ses études, c’est qu’étant produite par la même structure, la méthodologie autorise les comparaisons statistiques.

2, Quels sont les résultats ?

Globalement, en 10 ans, les compétences des adultes ont baissé ou stagné dans l’ensemble de l’OCDE avec des situations plus ou moins différentes. En littératie, par exemple seule la Finlande et le Danemark présentent une progression alors qu’en numératie 8 pays progressent. Comment expliquer cette baisse tendancielle des compétences ? L’écart s’est creusé entre les adultes les moins et les plus performants. Plus d’un adulte sur cinq est considéré comme peu performant dans les trois domaines proportion allant de 7 % au Japon à 44 % au Chili. Cette progression des moins performantes explique la baisse globale des compétences. Les inégalités se creusent en matière de compétences. Et le système de qualifications n’est pas exempt de critiques, un travailleur sur 3 n’occupe pas un emploi en adéquation avec ses compétences, cela se traduit par des différences accrues de rémunération et un sentiment de déclassement.

Et la France ? En France, la moyenne des compétences des adultes atteint 255 points en littératie alors que la moyenne des pays de l’OCDE est de 261 ; elle atteint 257 contre 264 en numératie et 248 contre une moyenne de 251 dans la résolution des problèmes. Trois fois en dessous de la moyenne. Si l’on regarde dans le détail en littératie 28 % des adultes en France ont un niveau faible, contre 22 % il y a 10 ans. C’est le niveau intermédiaire qui recule passant de 70 % en 2012 à 64 %, une augmentation de la polarisation des compétences. Comment expliquer cet écart ? Stéfano Scarpetta, auteur du rapport, explique « cette détérioration des compétences est due principalement aux travailleurs plus âgés ». Les jeunes adultes sont arrivés à maintenir, voire à augmenter, leurs compétences. Les personnes âgées de 55 à 65 ans sont deux fois plus souvent en situation de faiblesse que les 16 24 ans en numératie, et trois fois plus souvent en littératie ou en résolution de problème. Une autre façon de regarder la situation française, hormis l’écart-type, est l’évolution par rapport à la précédente analyse pour déterminer une tendance : en littératie la situation se dégrade de 6,7 %, la numératie progresse de 3 %..

Comme remarque complémentaire, on peut noter qu’en matière d’inégalité la France tourne autour de la moyenne de l’OCDE, 23 pour la France contre 25,6 pour la moyenne. Le niveau d’étude des parents explique les 23 points, c’est la reproduction sociale, les différences de scores de ceux dont les parents sont peu instruits et ceux très instruits. C’est la reproduction sociale chère à Pierre Bourdieu. Si l’on comparer avec l’Espagne où le niveau d’étude des parents contribue à hauteur de 7 points aux différents scores entre les adultes aux parents peu instruits et ceux dont les parents sont très instruit. A l’autre bout de l’omelette, Israël a 43,4 points. Il peut paraître étrange que l’égalité ne soit pas une valeur qui trouve son opérationnalité dans la formation professionnelle française, d’autant que c’est à ce titre que la France dépense 32,9 milliards hors dépenses directes des entreprises et des administrations publiques, qui mènerait la facture à 55,3 milliards d’euros pour cet effet.

3, Que faut-il en penser ?

On peut s’interroger sur le fait que la France colle à la moyenne des pays de l’OCDE. Moyen et médiocre ont la même racine. Est-il possible de faire mieux ? Pour répondre à cette question, il suffit d’interroger les meilleurs. Hormis le Japon, le haut du classement est dominé par les pays d’Europe, dans l’ordre : Finlande, Suède, Norvège, Pays-Bas, Estonie, Belgique (Région Flamande) Danemark, Royaume-Uni, 8 sur 10. Et que le classement est quasiment le même dans la littératie, la numération et la résolution de problème. Quelles que soient les compétences, soit on est bon dans tous les domaines, soit dans aucun. On peut remarquer la place spécifique de l’Estonie, indépendante depuis moins de 40 ans pour une population active de 700 000 personnes. Un benchmark est possible pour comprendre comment des pays de taille plus ou moins comparables, particulièrement sur le continent européen on peut réussir durablement. Le premier, la Finlande, a augmenté de plus de 15 points ses résultats par rapport au précédent classement, en littératie comme en numératie.

On peut se rappeler que le Portugal pour le premier classement PISA sorti en 2000, le presque dernière de la classe, sa réaction fut de mettre en place un plan d’évaluation des résultats, « la culture de l’évaluation » avec un plan d’action national pour l’innovation pédagogique PPIP (Projeto Piloto de Inovaçao Pedagogica, 2016). Résultat le taux de décrochage scolaire est passé de 39,3 % en 2012, à 13,6 % en 2024. Les esprits chagrins remarqueraient que la population active du Portugal n’est que de 5 millions de personnes. Alors prenons le cas, Allemand qui a connu le « choc PISA » en 2000, dans les derniers loin derrière la France. La publication des mauvais résultats a créé un choc dans la classe politique et en 10 ans l’Allemagne est passé de mauvais élève à très bon élève. La révolution a été pédagogique et structurelle pour atteindre l’excellence. Comme quoi la volonté politique est possible.

La France n’a que mollement réagit aux indicateurs PIAAC, donc pas de « choc PIAAC ». Qu’est-ce qu’il manquerait pour revenir dans les meilleurs ? La formation professionnelle s’est bureaucratisée au sens de Michel Crozier, elle ne regarde pas la performance des dépenses engagées, mais seulement l’évolution de ses postes budgétaires. Or, depuis la LOLF (Loi Organique relative aux Lois de Finance, 2001), l’état a introduit « la démarche de performance » encore renforcée par la loi organique de 2021. L’idée est assez simple au lieu de parler de dépense publique, on peut parler d’efficacité publique, mais cela nécessite de définir des objectifs de performances, un certain niveau de PIAAC, par exemple. De définir des indicateurs intermédiaires et d’assurer ainsi un pilotage de l’investissement formatif. Cela peut se faire en 10 ans, deux septennats. Ce serait ce que certains appellent le retour à « l’Etat stratège ». Les PIAAC deviendraient un prétexte à l’adaptation de nos structures.

La formation professionnelle a toujours joué un rôle central dans le développement industriel de la France. Que ce soit à la fin du XIXème siècle avec l’émergence des écoles techniques pour former des ouvriers qualifiés, des techniciens et des ingénieurs, la formation professionnelle a été un levier au service d’une révolution industrielle. Il en va de même avec la reconstruction de 1945 et les besoins de compétences avec par exemple la création de FPA, Formation Professionnelle des Adultes (1944), l’ancêtre de l’AFPA. Avec la nouvelle révolution industrielle qui a débuté, il est nécessaire de faire des choix de compétences pour nourrir la révolution numérique que ce soit avec les PIAAC ou d’autres indicateurs volontaristes. Dans cette révolution schumpétérienne, la France à un problème de compétences, là où les Etats-Unis et la Chine investissent dans ces nouveaux besoins. La course sera gagnée par les pays qui savent avoir les bonnes compétences au bon moment. Finalement une question de politique de formation.

Fait à Paris, le 14 janvier 2025

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