Quel est le métier du responsable de formation ?

par | 18 janvier 2021 | Juridique, Organisation, Pédagogie

Parler du responsable de formation suppose de trouver un angle qui ne soit à la fois pas redondant avec les ouvrages existants et qui apporte une opérationnalité aux praticiens de la fonction. Comme ouvrage de référence, on peut retenir : celui d’Alain Frédéric FERNANDEZ, en 2009, ‘https://livre.fnac.com/a2730977/Alain-Frederic-Fernandez-Le-responsable-formation-efficace) et celui de Philippe BERNIER, en 2011, (https://livre.fnac.com/a3399776/Philippe-Bernier-Responsable-formation-et-competences-2e-edition#int=S:Suggestion). Notre angle sera complémentaire.

Le métier de responsable de formation porte en son sein trois mots qui soulèvent trois problématiques différentes : la notion de métier, la notion de responsable et la notion de formation.

Qu’est-ce qu’un métier ?

La notion de métier a plusieurs définitions. Pour comprendre, on peut retenir la trilogie, activité, métier et profession. Regardons ce triptyque de plus près.

Le premier mot qui a été structuré par la littérature a été le mot profession, dans les années 1920. Si l’on se remet dans le contexte des années 1920, on se situe en plein cœur de l’Organisation Scientifique du Travail (OST) et bien évidemment, son corollaire l’Organisation Scientifique de la Formation (OSF). Il est à rappeler que la Cegos, crée en 1926, a dans son acronyme « os », signifiait « organisation scientifique ». L’idée principale étant de demander à des experts, sur le modèle de Frédéric Taylor, une analyse des fonctions et des activités de l’entreprise, afin de construire des process de production rationalisés, comme l’illustre Benjamin Coriat dans le très beau livre « L’atelier et le chronomètre » (1979). En formation, cela a permis la formation de masse.

Après la Seconde Guerre mondiale, on assiste à la « fonctionnalisation des rôles », pour reprendre le terme d’Alain Touraine dans « Entreprise et bureaucratie » (1959). La personnalité individuelle est remplacée par la fonction qui se standardise autour d’une cartographie de connaissances et de compétences. La profession se professionnalise. Cette rationalisation est relativement efficace dans un environnement stable. Un environnement qui permette de constituer des normes et des standards reproductibles qui servira de base à la constitution d’une identité fonctionnelle. Mais c’est avec l’ANI, Accord National Interprofessionnel, et la loi du 16 juillet 1971, dites « loi Delors », portant sur « l’organisation de la formation professionnelle continue dans le cadre de l’éducation permanente” que le responsable de formation va se fonctionnaliser autour des activités administratives et financières, jusqu’à en devenir le cœur du « responsable de formation canal historique ».

Si l’on reprend le livre de Florent Champy, la Sociologie des professions, en 2009, on peut considérer qu’une profession repose sur un savoir-faire opposable à l’entreprise. Par exemple, un expert-comptable ou un commissaire aux comptes peut refuser de signer des comptes qui ne seraient pas conformes aux règles de fonctionnement de la profession. Il en va de même pour la médecine du travail et de bien d’autres professions qui sont capables de faire opposition au fonctionnement hiérarchique de l’entreprise. Souvent, les professions sont issues d’une reconnaissance de leur savoir-faire en dehors de l’entreprise elle-même. Alors que le métier n’a pas cette opposabilité, mais il est composé de deux dimensions une activité fonctionnelle et une identité.

Les activités fonctionnelles sont évolutives en fonction des besoins de la fonction. Aujourd’hui, on assiste à une forte monté en puissance des compétences numériques, pédagogique et marketing, tout particulièrement avec le confinement. Mais ce qui fait la force d’un métier, c’est sa reconnaissance inter-entreprise… tout le monde sait ce qu’est une responsable de formation, même si le définir poserait des problèmes à tous. Et d’ailleurs chaque entreprise à un périmètre d’activités spécifiques. C’est ce que Martin Heidegger appelait « le bavardage », un mot qui fait consensus grâce au fait que personne ne cherche à le définir. Et Hannah Arendt donne la raison d’être des bavardages, se socialiser, faire en sorte que tout le monde accepte cette identité tout en acceptant les différences de chacun. C’est grâce à cela que l’AFFEN peut fédérer l’ensemble des responsables de formation si différent et pourtant si proche.

A la question le responsable de formation est-il un métier ou une profession, on peut répondre assurément qui s’agit d’un métier puisque l’activité du responsable de formation n’est pas opposable. Mais la question le responsable de formation est-il une activité ou un métier est beaucoup plus intéressante. Tout dépend du statut social dont on veut l’affubler. Si on le considère comme une activité, on ne lui reconnaît pas le statut social du métier. A l’inverse, le reconnaître comme un métier est un marqueur social, tout dépend de la place que l’on donne à la formation au sein de l’entreprise.

Il est assez sain de s’interroger sur la place de la formation, comme toutes les autres fonctions, dans la création de valeur de l’entreprise. « A-t-on encore besoin du responsable de formation ? » est une bonne question. Et à répondre trop vite, on passe à côté de son utilité sociale. On peut se rappeler que suivant les périodes, il n’existait pas de service de formation dans l’entreprise. Et que si la seule réponse est qu’il faut de la formation pour former, on sent bien que la raison d’être de la fonction est modeste. C’est tout l’enjeu du learnal branding. Quel est la promesse de la fonction ? C’est un travail qui permet de développer l’acceptabilité sociale. Avec une remarque, l’identité est un outil essentiel dans les grandes transformation de l’activité. Il est essentiel de la garder surtout quand tout change, cela donne un repère dans le pilotage… avec cet aphorisme de Visconti, « on change tout pour que rien ne change », n’est-ce pas là le propre de l’identité, ce qui est identique ?

Qu’est-ce qu’un responsable ?

La notion de responsable de formation appelle la notion de responsable… étymologiquement parlant, un responsable est quelqu’un qui rend des comptes, qui est capable de rendre des comptes au sein de ses activités. L’entreprise doit s’interroger pour savoir si elle a besoin d’un responsable de formation qui rende des comptes, ou si elle a besoin d’un directeur qui choisisse des directions stratégiques pour la formation. Dans un monde en disruption, avoir un capitaine qui pose et qui tienne son cap est plus intéressant qu’un expert-comptable de la formation qui fasse état des process.

Le responsable de formation ne consiste pas à changer, mais à transformer les pratiques de la formation. Transformer comporte en son sein « trans » et « former », autrement dit, passer d’une forme à l’autre. Avec la difficulté non-négligeable qui consiste à définir la forme d’arrivée. Sans ce travail de prospective, de choix stratégique et de définition des modalités de réalisation, la transformation s’appelle un changement, faire différemment qu’avant, mais sans savoir où l’on va, ce que certains appellent le « bougisme » faute de direction. L’organisation sociale de la fonction nécessite de savoir quelle autorité lui est confiée, quel degré de liberté et surtout quels objectifs. En fonction, on saura si le responsable de formation est un ouvrier de la formation ou un directeur.

Le chantier immédiat de la fonction est la numérisation de la formation… une fois franchit le cap des classes virtuelles qui nécessitent une maîtrise de l’animation et de la pédagogie, cela doit s’inscrire dans une stratégie numérique avec des questions sur le choix des supports, la redéfinition des pédagogies, la scalabilité des produits, … une question du type « faut-il faire des formations sur Tik Tok ? », sans stratégie ne présente pas d’intérêt pour l’avenir. Mais le chantier essentiel à la formation est le passage de la formation fonction de l’offre à celui de la formation fonction de la demande. C’est la transformation majeure du 21ème siècle, remet l’apprenant au centre du processus. Reste à définir et à mettre en place une culture de l’apprenant qui remplace la culture de l’expertise. Belle question pour un directeur…

Qu’est-ce qu’une formation ?

Le responsable de formation appelle la définition de la formation. Il s’agit de ne pas confondre, apprendre et former. La formation est un apprentissage socialisé. Et il est intéressant à noter que les neurosciences ne s’intéresse qu’à l’apprendre, et sous réserve du dernier ouvrage Antonio Damasio, les neurosciences explorent assez peu le sujet de la formation. Apprendre est une mécanique de consolidation des contenus, là où la formation est a une dimension sociale, morale qui dit ce qui est le bien apprendre, le paradigme dominant du moment comme l’a montré Thomas Khun en 1962.

La formation est sociale. Et l’on voit que la société a libéré les formes de la formation, depuis 2015, pour permettre aux pédagogues de créer de nouveaux écosystèmes apprenants. Le monde de la formation a besoin de se réinventer autour des 5 chantiers de la formation : le chantier des contenus, celui des supports, de la pédagogie, des plateformes et enfin celui des apprenants (https://affen.fr/pedagogie/edtech-les-5-grands-chantiers-des-5-ans-a-venir/). Un nouveau paradigme émerge… restera à la société de construire les marqueurs sociaux qui permettront leur reconnaissance.

Le nouveau paradigme de la formation est de réinventer la figure de l’apprenant. L’adulte infantilisé par l’expert, laissera place à un adulte responsable et l’expert deviendra un producteur de service pour l’apprenant. C’est un grand mouvement de déconstruction qui a commencer avec la French Theory dans les années 70 et qui a donné aujourd’hui des notions comme l’entreprise libérée, liquide ou agile. Ce mouvement s’accompagne de deux autres mouvement dans l’entreprise, La société des individus (1987) qui émiette les apprenants, et Le temps des tribus (1988) qui est son corollaire indispensable avec le réenchantement de l’acte d’apprendre, les learner expériences (LX). Le responsable de formation devient un marketeur, un designer, autrement dit celui qui donne l’envie. C’est assez amusant de voir comment le 19ème siècle et le 20ème ont développé un rationalisme rationalisant, là où le 21ème s’ouvre sur l’homo heroticus, l’homme des communions émotionnelles.

A la recherche du responsable de formation perdu… les traces de l’identité métier nous permettent d’inventer une continuité qui fasse résonance socialement. Avec une difficulté que Pierre Dac avait synthétisé dans cette belle formule, « la prévision est difficile surtout lorsqu’elle concerne l’avenir ». C’est l’avenir qui dénouera les fils de l’évolution que nous connaissons aujourd’hui. Mais dores et déjà, on peut soulever deux tendances qui interrogent.

La première est la réputation du responsable de formation comme nouvelle autorité. Les savoirs autoritaires sont, comme le montre des crises comme celle du Covid ou de la 5G ou de tant d’autres, sont de moins en moins facilement acceptés par le corps social. Les sachants sans faire ne font plus autorité. Le responsable de formation va devoir faire ses preuves pour devenir un influenceur de l’entreprise pour cela, il va devoir construire son professional branding, autrement dit la confiance qu’il inspire à tous, ce que certains appellent par l’oxymore, l’autorité de la séduction.

La seconde tendance est celle du data scientist. Le responsable de formation va apprendre à connaître l’apprenant de plus en plus finement, jusqu’à anticiper ses envies et ses besoins. C’est ce que la littérature appelle suivant l’anle de vue, le marketing prédictif ou le machine learning… eu égard au volume, les algorithmes vont faire le travail, reste au responsable de formation soit à devenir un ouvrier de la formation qui exécute les analyses de la machine, soit un directeur qui non seulement choisisse parmi les algorithmes mais surtout les fait évoluer.

Aujourd’hui, le responsable de formation est un artisan de la formation… artisan, étymologiquement, qui maîtrise les ars, les outils de la formation. Il s’agit de rester modeste dans un premier temps avec des outils et des pratiques qui se construisent en faisant. Et cela ouvre bien des opportunités. Le mot artisan porte en germe la même racine qu’artiste, il y a de la créativité sur la pédagogie, où tous les chemins sont bon pour peu qu’ils atteignent leurs objectifs. Le responsable quitte peu à peu sa posture d’expert-comptable de la formation pour devenir un créatif de formation.

Fait à Paris, le 18 janvier 2020

@StephaneDiebold

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