LES FONDAMENTAUX. Il est des mots nouveaux qui sont à la mode dans le monde de la formation, la Learner eXperience en fait partie. Le wording est-il une façon de cacher la misère, inventer des mots nouveaux pour que rien ne change en réalité ou s’agit-il d’un signal faible qui va s’inscrire dans le temps pour inventer une nouvelle réalité. La learner experience, l’expérience apprenante réinterroge le monde de la formation, c’est un mot du 21ème siècle qui est porteur d’un message, mais est-il aussi porteur d’une réalité ? Les entreprises, vont-elle devoir prendre position ? Learner experience or not learner experience ?
1, De quoi s’agit-il ? Retour sur une définition.
La notion d’expérience apprenante est une notion historiquement composée par Donald Norman avec « Le design les objets du quotidien » (1988). Donald Norman est un psychologue professeur en sciences cognitives qui a introduit l’émotion dans les objets et particulièrement l’usage des objets comme une expérience à vivre. Il invente le terme de User eXperience, UX dont il deviendra le premier praticien chez Apple : faire des objets Apple des objets de désir grâce à un travail ciblé sur le design et l’ergonomie.
10 ans après, Joseph Pine et James Gilmore ont généralisé cette notion avec le livre « L’économie de l’expérience » (1999) où ils montrent que l’économie ne repose plus sur l’échange d’objets, mais sur l’échange d’expériences affectives. C’est une façon économique de revisiter « Le système des objets, la consommation des signes » (1968) de Jean Baudrillard. La relation client et son corollaire la fidélisation repose sur l’expérience affective, c’est une nouvelle économie fondée sur l’émotion. Le sociologue Gilles Lipovetsky parle de « L’esthétisation du monde, vivre à l’âge du capitalisme artiste » (2013).
La learner experience s’inscrit dans cette proposition faire de la formation une aventure affective, le fameux « effet waouh » pour favoriser une communion apprenante. La learner experience s’inscrit dans une définition nouvelle de la formation qui n’est plus un moment de transmission, mais une relation apprenante, une formation qui s’inscrit dans le temps, on pourrait dire tout au long de la vie. La fidélisation apprenante n’est possible que par l’acceptation d’introduire l’émotion dans les pédagogies traditionnelles. L’émotion est l’innovation majeure du 21ème siècle dans le monde de la formation. La learner experience, c’est sortir du 20ème siècle pour proposer de transmettre autrement.
Comment mettre en œuvre une politique de LX ?
2, Les 4 piliers de l’expérience apprenante
Le premier pilier est la définition d’une promesse apprenante. La promesse apprenante est l’avantage que l’apprenant va pouvoir tirer de sa formation. Elle est souvent présentée comme un message publicitaire facilement identifiable. On retrouve cette pratique dans le phénomène de pitch, quelle sera la valeur de la formation pour l’apprenant ? Tim Ferriss a écrit « La semaine de 4 heures, travaillez moins, gagnez plus et vivez mieux » tout est dit. C’est une nouvelle façon de penser la formation non pas dans une démarche expert, mais dans une démarche apprenant. Il s’agit de s’engager auprès de l’apprenant et d’être fidèle à sa promesse dans le temps, learnal branding. L’écriture de la promesse est aujourd’hui plus sous la forme d’une réclame que d’une publicité.
Le deuxième pilier est la création d’un véritable service apprenant. Il s’agit d’évaluer les points de contacts entre la formation et l’apprenant pour améliorer la relation. On sort du LSAT standard (Learner satisfaction) obligatoire à la fin de chaque formation pour refaire tout le parcours apprenant de l’émergence du besoin avec ou non une acculturation, à l’inscription, le déroulé, le service après-vente, avec pourquoi pas un service réclamation, la formation additionnelle,… le numérique et l’automation ont facilité la collecte des données et le travail de suppression des points noirs de la relation apprenante.
Le troisième pilier est la fluidification de la relation apprenante. On pourrait parler d’un parcours ergonomique et responsive. Le terme de responsive vient du web et de l’adaptation du contenu aux différents supports et repris dans le sens adaptable, réactif, être capable d’anticiper les supports et les contenus de formation tout en gardant la cohérence pédagogique d’ensemble. Par exemple, faut-il s’engager dans le Métaverse ? Faut-il construire des communautés apprenantes ? Si oui, comment garder la cohérence avec l’ensemble des autres grains de formation ? Apprendre en marchant et chercher à fluidifier les évolutions pour être au plus près de l’usage des apprenants.
Le quatrième pilier est l’effet waouh. Qu’est-ce qu’on peut faire d’extraordinaire dans la formation ? Cette question n’est pas absolue, elle dépend de l’ordinaire de chaque entreprise. L’imagination est au pouvoir. Inviter des Guest lors de formation en classe virtuelle et permettre à chacun de l’interviewer, mais ce peut être un manager québécois pour parler d’un changement culturel qu’il a déjà vécu, un benchmark ou simplement des outils de pairagogie. Construire le Waou effect de l’entreprise en fonction de ses valeurs.
3, L’évaluation du LX
L’évaluation d’une learner experience est un passage obligé pour assurer le pilotage de cette politique. Le LSAT est un outil intéressant, si aujourd’hui, il est rendu obligatoire par la loi pour évaluer globalement une formation, ce même outil pourrait servir à évaluer bien d’autre chose. S’il s’agit d’un baromètre annuel ou pluriannuel pourquoi ne pas interroger les collaborateurs sur l’image qu’ils ont de la formation, autant ceux qui ont été apprenant évaluation inside que ceux qui n’ont pas pratiqué. L’évaluation LSAT est facilement exploitable, mais on peut aussi proposer deux ou trois mots associé au service de formation. L’intérêt n’est pas tant sur l’évaluation intrinsèque que sur sa dynamique. Cette méthode permet la définition d’objectif d’amélioration du service perçu.
S’il s’agit de mettre l’apprenant au centre de la formation, il ne s’agit pas simplement de construire des indicateurs d’évaluation, mais d’avoir une politique de transparence. Quelle est la note du service et quelle est la promesse proposée, puis évaluée ? Si l’apprenant devient la référence, il s’agit de lui rendre des comptes sur le social scoring et les mesures mises en œuvre. L’évaluation individuelle des formations, des formateurs peuvent être rendu collective sur le modèle d’un TripAdvisor interne de la formation. Et si 20 % des avis d’apprenants sont négatifs, quelles mesures seront adoptées pour améliorer les choses ? Combien de réclamation ? Quel traitement ? On reproche à l’apprenant de ne pas s’engager encore, faut-il qu’il ait le sentiment que son engagement ne soit pas inutile, pire contreproductif. La relation apprenante nécessite de construire une relation de confiance qui assure la fidélisation. Et la confiance, c’est dans les deux sens.
Tous les indicateurs sont bons, tout dépend de ce que l’on veut en faire. La formation 20ième siècle a privilégié l’efficience, le 21ème siècle choisira peut-être l’efficacité. Pourquoi ? Parce que les outils d’évaluation le permettent aujourd’hui. Si le parcours comporte une communauté apprenante, il est possible faire du scraping, une évaluation des mots utiliser par les apprenants, bien sûr anonymisés. Le choix des mots assure une évaluation de l’acquisition des connaissances et des compétences, ainsi que les problématiques qui n’ont pas été abordées et qui revienne régulièrement dans les échanges des apprenants. D’autres outils comme le Big data et la prédictibilité permettent, en fonction des données analysées, d’anticiper des besoins non encore exprimés. Tous les indicateurs sont bons. La problématique contemporaine est culturelle, passer d’une culture de l’expert, 20ème siècle à une culture de l’apprenant, 21ème siècle.
La learner experience est un changement de regard : learner first. Quelles conséquences pour le service de formation ? Pour le service formation, c’est de donner la priorité au service plus qu’à la formation. Les contenus de qualités gratuits sont de plus en plus nombreux sur le web, le service formation est celui qui va donner l’envie d’apprendre et de soutenir l’envie dans le temps. C’est le travail de marketing, donner de la valeur sociale aux formations qui sont stratégiques pour l’entreprise, susciter l’adhésion et l’engagement des apprenants. L’émotion est au cœur de cette transformation. La communion apprenante, faire de la formation une aventure humaine.
Fait à Paris, le 27 septembre 2022
@StephaneDiebold