Les fondamentaux de la formation
Le marketing a mauvaise presse… le journaliste Philippe Meyer avait ce très bon mot : “Le marketing est une sorte de sociologie vénale, d’ethnologie de bazar dont le but est de savoir de quoi vous n’avez pas besoin et que l’on pourrait quand même vous vendre.” Sociologie vénale, argent malodorant… D’aucuns aimeraient que la formation ne s’acoquine pas avec le marché… l’homme n’est pas une marchandise. La moralisation du marketing empêche de comprendre ce que le marketing peut apporter à la formation. Et si, pour une fois, on supposait que le marketing devenait l’ami de la formation… Il y tant de choses à découvrir ensemble…
1, Attention, il y a marketing et marketing...
Albert Camus disait qu’à mal définir les choses, on rajoutait du malheur au monde… être pour ou contre le marché n’a de sens que si l’on définit le marché qui nous sert de référence. C’est un mot-valise qui nourrit ce Martin Heidegger appelait “le bavardage”, parler sans que l’on sache de quoi. Alors, de quoi parle-t-on au juste lorsque l’on parle de marketing de la formation ?
Si l’on revient aux classiques du marketing, il n’est pas possible de faire l’économie de Philip Kotler, le marketing de la formation est un marketing sociétal. « Le marketing sociétal est dans sa définition anglo-saxonne, l’application des techniques et des outils du marketing commercial à des milieux relevant de problématiques sociales, environnementales ou culturelles ». (KOTLER Philip et ZALTMAN Gérald, Social Marketing : an approach to Planned Social Change, Journal of Marketing, July, 1971) … le marketing de la formation, c’est l’usage d’outils client appliqués aux apprenants. Cette approche de neutralité technique convient assez bien à la culture performative de la formation.
Mais, le marketing, c’est aussi autre chose.
Jacques Lendrevie et Denis Lindon propose une complémentarité à l’approche de neutralité instrumentale de Philip Kotler. Le marketing est « l’ensemble des méthodes et des moyens dont dispose une organisation pour promouvoir, dans les publics auxquels elle s’intéresse, des comportements favorables à la réalisation de ses propres objectifs » (MERCATOR, Théorie et pratique du marketing, 2003, Dalloz, p. 10). Le marketing est plus militant. Certains, à l’instar de Laurent Morillon, préfère le terme de « marketing interne ». « Le marketing interne est une démarche de marketing à l’intérieur de l’entreprise permettant à celle-ci de concevoir et de promouvoir des idées, des projets ou des valeurs utiles à l’entreprise, de communiquer par le dialogue avec les salariés pour qu’ils puissent s’exprimer, choisir librement et en fin de compte, de favoriser leur implication dans l’entreprise ». (Laurent Morillon, “Marketing interne et écoute des salariés dans un service de communication : entre reconnaissance de sujet et manipulation d’objet”, 2006, Market Management, Marketing et Communication, n°4). Au fond, le marketing est un média.
Si l’on sort de la littérature classique, la meilleure définition du marketing est celle du publicitaire photographe Oliviero Toscani : le marketing, c’est « mettre en société ». Mettre en société, créer une résonnance entre une offre et une demande. Créer une relation affective entre les apprenants et les produits de formation, une relation qui nourrit la fidélisation à la marque employeur. C’est ce que Martin Heidegger appelait “l’ère du nous”. “Ce qui compte aujourd’hui c’est le nous. Au temps du Moi a succédé le temps du Nous. Nous sommes” (Martin Heidegger, “Grammaire et étymologie du mot “être”, 2005, Seuil, p. 59). Le marketing, c’est faire société ensemble.
Dans ce cadre, la formation ponctuelle devenant relation apprenante, le marketing relationnel, pour reprendre le terme de Richard Bagozzi (Richard Bagozzi, « Marketing as exchange », 1975, Journal of Marketing, vol. 39, p.32-39). Le marketing de la formation devient « L’ensemble des actions marketing visant à établir, développer et maintenir des relations d’échange fructueuses » (MORGAN R.M., HUNT S.D. « The commitment-trust theory of relationship marketing », 1994, Journal of Marketing, vol. 58, p.20-38, p. 22). La formation devient une communauté apprenante qui s’inscrit dans le temps.
Elena Lasida donne une belle définition de la médiation et de la formation avec la notion de passeur. « Le passeur est un libérateur, comme le soldat qui libère une fille occupée, ou le juge qui libère un prisonnier. Il ouvre les portes, tout en sachant que le plus important n’est pas l’ouverture en soi, mais ce qu’elle rendre possible. J’ai été libéré par les passeurs : ils ont libéré mon envie de vivre les capacités. Ils m’ont mis en distance par rapport à moi-même, il n’est introduit dans un autre univers, sans prétendre m’embrigader » (Elena Lasida, Le goût de l’autre, 2011, Albin Michel, p. 76). Elena Lasida propose de quitter l’Homo sapiens, l’homme qui sait pour en faire un homo « passiens », un homme qui passe qui permet la trans-formation de chaque individu pour assurer son adaptation aux enjeux de tous. L’homo passiens est par étymologie pédagogue.
Concrètement, comment le marketing peut transformer la formation ?
2, “Connais-toi toi-même, et tu connaîtras l’univers et les dieux” (Temple delphique)
Le marketing permet de connaître l’apprenant… Aujourd’hui, les formations se font à l’aveugle. La formation pousse de contenus, mais sans rien connaître des motivations, des modalités d’apprentissage, des goûts, … de l’apprenant. Les formations se font en blind test. C’est l’histoire de la formation du 20ème siècle, la fameuse Organisation Scientifique de la Formation (OSF), l’important est le contenu et non l’apprenant. Au début du siècle dernier, cela avait du sens, comme l’a montré Benjamin Coriat dans l’Atelier et le chronomètre (1979) avec la massification de la formation et/ou la formation de masse.
Aujourd’hui, pourquoi faudrait-il remettre en cause le profilage standardisé des apprenants, alors qu’il a fait ses preuves ?
A cause de la déverticalisation des entreprises. L’entreprise mise sur des modèles qui montent en puissance l’individu qui est de plus en plus responsabilisé autour de la notion d’autonomie afin de gagner en agilité organisationnelle. L’individu, étymologiquement la partie indivisible d’un système, la brique élémentaire, devient la cheville ouvrière du changement. La motivation de l’individu devient importante, car c’est elle qui met en œuvre le changement, d’où la montée en puissance du concept de personne, étymologiquement, l’être derrière les masques sociaux. Bien connaître les apprenants, c’est bien connaître les personnes, leurs besoins, leurs centres d’intérêt et leurs attentes, afin d’en faire des agents de changement moteur de la trans-formation. L’agilité organisationnelle est un avantage concurrentiel important pour l’entreprise.
C’est ce que certains appellent la politique de “apprenant-roi”. Avec une remarque : l’apprenant-roi est à relativiser lorsque l’on sait que s’il refuse une formation, il peut être sanctionné jusqu’au licenciement… l’apprenant-roi ne veut pas dire libre de choisir, mais plus de le mettre “l’apprenant au centre de la formation”, c’est-à-dire d’en faire l’étalon de la valeur. Sortir de la formation des experts pour entrer dans la formation des apprenants.
Comment cela s’organise-t-il ?
21, le canal historique du marketing de la formation
La clé de la connaissance est l’information avec la collecte de la bonne information, sa structuration et son usage au bon moment. Il s’agit pour le responsable de formation de devenir un data scientist, un expert de la donnée apprenante : collecter, trier et organiser.
Aujourd’hui, la donnée socialisée concerne la parité homme/femme, les stratifications cadre/non cadre, les niveaux de qualifications, la géolocalisation, … Ces datas concernent principalement des problématiques RH et assez peu le responsable de formation. Quels sont les points de contacts de l’apprenant ? Quelles sont ses modalités d’engagement ? Quels canaux ? Quels sont ses rythmes d’apprentissage ? Quel ROI ? … Autrement dit, quels métriques pour la formation ? Les outils de CRM multicanal permettent d’organiser la relation apprenante, le LRM, Learner Relationship Management, en temps réel. Ce qui rapproche le pilotage du temps opérationnel de l’entreprise.
Qu’est-ce que la connaissance apprenant ?
La connaissance n’est jamais neutre, comme nous l’avons développé ailleurs (https://affen.fr/pedagogie/faut-il-privilegier-la-connaissance-ou-le-savoir/). La création d’une base de données apprenantes doit être par défaut “RGPD friendly”, mais chaque fois possible une politique choisie. Si l’entreprise favorise la responsabilisation de ses collaborateurs, elle peut mettre en œuvre une politique de quantify self où la donnée est anonymisée et où chaque collaborateur peut s’étalonner à loisir pour construire son propre learning contract avec des outils de pilotage, sans la supervision de la hiérarchie ou d’une quelconque instance. C’est une façon de considérer l’apprenant responsable et de sortir ainsi de l’infantilisation du 20ème siècle. La donnée est politique.
La connaissance réinterroge la qualité de la base ainsi que les points de vigilances traditionnels de l’évaluation : ne pas confondre le thermomètre et le malade, la carte et le territoire.
22, le marketing de la formation à l’heure du Big data.
Le e-learning favorise grandement la multiplication des indicateurs possibles, et permet ainsi une véritable personnalisation des comportements d’usage de la formation. Les données massives, ou Big data, présente une information tellement volumineuse qu’il est nécessaire d’automatiser son traitement. C’est ce que l’on appelle la smart data. La machine analyse les variances et covariances des données pour dégager des synthèses. Trop d’information tue l’information et donc la prise de décision.
L’IA supervisé (par l’homme), ou non, propose des points de vigilance, mais aussi des propositions pour nourrir la relation à partir de la connaissance de l’apprenant. La connaissance est traditionnellement fonction de l’historique de l’apprenant et la normalisation autour de loi statistique. L’IA est une aide à la décision. Ce n’est pas sans poser de questions. Outre le choix de l’algorithme, qui n’est pas neutre, dans la définition de la short list des indicateurs, la prise de décision réinterroge l’avenir et sa prédictibilité. Google au début du siècle annonçait la formule suivante : “je propose à mes cadres ce qu’ils veulent avant même qu’ils en aient conscience”, la machine connaît beaucoup mieux chaque individu qu’il ne se connaît lui-même. Elle est un outil indispensable à l’industrialisation de la personnalisation de la formation. Le responsable de formation doit donner des directions organisationnelles. Comment organiser la gouvernance de l’IA ? Qui ? Comment organiser la formation qui traditionnellement fonctionne sur le besoin exprimé, autour d’un modèle par anticipation d’un éventuel besoin ? Comment faire progrès social avec ces nouvelles opportunités et tant d’autres ?
Le marketing de la formation est sociétal.
3, “Mettre en société” Oliviero Toscani
Le marketing est une fonction qui répond à un besoin de l’entreprise, comme l’a très bien montré Marc Meuleau, en 1988, dans une très belle démarche historique (Marcs Meuleau, « L’introduction du marketing en France (1880-1973) », Revue française de gestion, no 70, sept-oct 1988, p. 58-71). La formation n’échappe pas à l’histoire… le marketing a d’abord été une fonction de vente. Si l’on transpose à la formation, l’offre de formation après les règlementations issues des lois de 1971, a connu une forte inflation sans différentiation des contenus, le marketing a d’abord été un outil de vente pour écouler un produit déjà existant. Mais les difficultés de plus en plus grandes ont permis au marketing de remonter la chaîne de valeur et de mettre son grain de sel dans la conception de produit au sein d’une cohérence de portefeuille. Le marketing est d’abord une fonction de l’offre.
31, le marketing produit
Le marketing ce n’est pas de la com’, la communication fait partie d’un mix produit, mais pas le seul et loin d’être le premier. Le premier argument marketing de la formation, c’est la qualité apprenante du produit. Qu’est-ce qu’il se passe d’extraordinaire dans la formation, au sens étymologique, qui sorte de l’ordinaire ? Le contenu ? L’animation ? La pédagogie ? Quel est le positionnement du produit ?
Depuis, la libéralisation de la notion d’imputabilité, la formation peut réinventer ses formes que ce soit sur les nouveaux savoirs, les technologies, les pédagogies tout bouge et tout se réinvente. Le produit de formation doit être entendu au sens de Théodore Levitt, c’est-à-dire un produit élargi, un écosystème. L’émiettement de la formation permet l’organisation d’écosystème : un présentiel qui ouvre à une classe virtuelle comme SAV du présentiel, une possibilité de coaching personnalisé, un livre ou une vidéo pour se souvenir. Tout devient possible avec la création d’un univers de formation centré sur l’animation, la façon de donner de la saveur au savoir.
Le produit est relationnel, il s’inscrit dans le temps. C’est l’objet du Learner Relationship Management, orchestrer une stratégie push/pull pour écouter les attentes des apprenants pour anticiper leurs besoins et les surprendre avec cette très belle citation de Steve Jobs, “vous ne pouvez pas demander aux clients ce qu’ils veulent et ensuite essayer de leur donner. Au moment où vous l’aurez construit, ils voudront autre chose.” Avoir le courage de leur proposer ce qu’ils n’attendent pas et qui au final fera une adhésion plus forte. Faire de chaque moment une Learner eXperience (LX), concept inventé par Donald Norman en 1988, qui met en œuvre un triptyque pour l’apprenant : satisfaction du besoin, ergonomie et plaisir. Inscrire ces LX dans le temps avec une politique de fidélisation apprenante, c’est en grande partie l’intérêt, mais pas que, des communautés apprenantes.
Une nouvelle pédagogie affective se dessine sous nos yeux.
32, le développement marketing
Comment mettre en société un produit de formation ? L’entreprise est en infobésité, tout est tellement important qui rien ne garde son importance. C’est tout l’enjeu du marketing organisationnel interne.
Un projet de formation, ceux sont d’abord des mots qui portent les ambitions du projet. Il s’agit de construire les éléments de langage qui une fois répétés par tous les acteurs du projet montre la cohérence du projet. Les mots s’usent, il s’agit de trouver ceux qui animent en fonction de l’histoire de l’entreprise et de ce qui n’a encore jamais été dit. Quels sont les mots du projet, les base lines, les pitchs, … ? Comment sortir des mots trop usés qu’ils perdent leur impact ? C’est tout le travail de la communication que d’incarner des mots, qu’ils fassent sens.
Un projet de formation, c’est un groupe projet, un pilote pour composer des relais d’influenceurs internes qui deviendront ambassadeur de la formation. Créer un good buzz qui par vagues va permettre aux apprenants de se faire une bonne idée de la formation et réussir ainsi l’industrialisation de son développement. Le travail n’est pas tant dans l’ordonnancement de la réalisation que dans le teaser qui met en attentent l’apprenant. Et si la formation est une belle LX… elle deviendra mythique dans la culture de l’entreprise, et la cerise sur le gâteau, c’est que c’est le pair à pair, les apprenants qui “vendront” le projet.
Le marketing, c’est trouver le bon dosage émotionnel pour ne pas surcharger l’apprenant, mais susciter suffisamment son attention pour favoriser son engagement.
Le marketing, c’est donné envie… à l’apprenant, c’est le maillon manquant dans une pédagogie des contenus. Aristophane disait “former, ce n’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu”, le marketing allume le feu… Le responsable de formation devient un créatif de formation qui organise la résonnance entre la culture de l’entreprise et l’ambition de son devenir.
Mais pas que… Le qualiticien américain Edwards Deming avait l’habitude de dire “on ne peut pas gérer ce que l’on ne peut pas mesurer”. Le marketing de la formation, c’est aussi la construction d’outils de pilotage de cette relation apprenante qui se construit sous nos yeux… on pourrait parler d’indicateurs chauds, comme le LSAT, Learner Satisfaction, le NPS, Net Promoter Score ou le LES, Learner Effort Score, mais l’essentiel est ailleurs. L’essentiel est le primat de l’apprenant-roi comme un adulte. C’est un changement culturel. Le 20ème siècle était le siècle des experts. L’apprenant était sous le joug de celui qui sait. Aujourd’hui, avec la politique de l’apprenant-roi, la formation se retrouve dans la même situation que la gastronomie avec l’émergence de La fourchette… les experts laissent la place à l’usager dans la chaîne de l’évaluation. L’adulte, qui est suffisamment adulte pour contracter un crédit sur 25 ans, se marier, … le serait-il pour savoir si une formation lui a été utile ?
Ce qui est passionnant avec le marketing de la formation, c’est qu’il s’agit d’un changement culturel. Tout est à faire l’histoire et le pilotage de l’histoire… “l’avenir appartient aux audacieux”…
Stéphane Diebold, fait à Paris, article initial du 30 novembre 2014, dernière modification le 05 juillet 2020