Système 1 Système 2, les deux vitesses de la formation

par | 3 février 2025 | Pédagogie, Responsable de formation, Sciences

En 2011, Daniel Kahneman publiait un ouvrage « Système 1, système 2, les deux vitesses de la pensée ». Ce psychologue expert des comportements financier est intéressant parce qu’il s’agit d’un touche-à-tout de talent. N’a-t-il pas écrit sur l’économie du bonheur avec des résultats particulièrement intéressants ? Il a reçu un prix Nobel d’économie en 2002. Le succès de l’ouvrage fut immédiat. Il propose une théorie du raisonnement qui distingue 2 systèmes cognitifs : un système rapide, le système 1 et système lent, le système 2. Cette façon de comprendre le monde et de réagir doit avoir des conséquences sur la pédagogie, mais de quelle nature ? Comment ces deux modalités de pensées peuvent trouver leur place dans le processus de formation ? S’agira-t-il d’une révolution ou d’un ouvrage de plus dans la littérature de la formation ?

1, La  notion de 2 vitesses de la formation

L’idée d’un cerveau qui fonctionne à deux vitesses est une idée assez ancienne qui n’a pas attendu Daniel Kahneman pour exister. Le psychologue William James en 1890 dans « The principles of psychology », parle explicitement d’un « cerveau à deux vitesses » : d’un côté une pensée rapide et automatique composée des habitudes, des associations et des intuitions, et de l’autre une pensée volontaire et contrôlée qui est plus lente et qui nécessite un effort cognitif plus important. Pourquoi à l’époque, l’idée, a-t-elle eu un tel succès ? L’idée était assez séduisante de penser que l’évolution de l’espèce se serait faite d’une pensée instinctive, émotionnelle vers une pensée rationnelle et consciente. Aujourd’hui, avec le travail d’Antonio Damasio et des neurosciences de l’émotion, le principe de séparation et d’évolution est beaucoup moins évident, chacun à sa raison d’être et la supériorité de l’un est loin d’être démontré, il y a plus complémentarité.

L’apprenant moderne est celui qui apprend de façon cartésienne avec le fameux « Je pense donc je suis dans la forteresse de mes pensées » (La méthode). Le travail de formation est pour reprendre l’idée du pédagogue Olivier Oudé, de se construire son propre système cognitif sur modèle piagétien, se structurer, s’organiser de façon consciente. Il s’agit de privilégier les apprentissages conscients par rapport aux apprentissages inconscients, le bon apprentissage face au mauvais. On retrouve l’idée ancienne de la doxa qui s’oppose à l’esprit scientifique, le vrai socialement choisi. La formation devient un outil pour développer ou acquérir, suivant sa référence idéologique, la bonne formation choisie socialement. Autrement dit, le système 2 avait les faveurs du monde de la formation avec l’idée de conscientisation des apprentissages.

Or l’apprentissage inconscient a connu un nouvel éclairage avec la place des émotions, comme l’a montré Antonio Damasio. L’apprentissage émotionnel est inconscient avec ce qu’il appelle les « marqueurs somatiques », signaux corporel automatique qui guident nos décisions sans en avoir conscience. Le conditionnement émotionnel joue un rôle important tant dans l’apprentissage que dans la qualité de la mémoire. Les expériences chargées émotionnellement sont mieux mémorisées et pour plus longtemps. L’amygdale impliquée dans le traitement des émotions permet des réponses plus rapides à des stimuli émotionnels. Autrement dit, le système 1 permet de répondre sans passer par la conscience qui prend trop de temps pour assurer la bonne décision au bon moment. La peur conditionnée permet des réponses plus rapides. Les études de psychologie cognitive considèrent que 90 à 95 % de nos décisions cérébrales sont inconscientes. Si l’on devait privilégier un des deux systèmes, ce serait davantage le Système 1.

2, La pédagogie du Système 1

Quelle conséquence sur la pédagogie ? Pour stimuler le système 1, il suffit de créer des stimuli suffisamment attractifs ou interrogatif pour éveiller la curiosité de l’apprenant. Ce système rapide et intuitif réagit mieux à des contenus courts et percutants, le snack content. Dans le déroulé pédagogique, il s’agit de faire le buzz, capter l’attention en exploitant des éléments de surprise, de rupture par rapport à l’ordinaire. La transgressivité est de plus en plus utilisé pour casser les codes, capter l’attention, favoriser la réactivité et l’engagement de l’apprenant. La « fenêtre d’Overton » illustre bien cette pédagogie : pour être entendu, il faut favoriser « L’ère du clash » (Christian Salmon, 2019) pour ouvrir le domaine des possibles pour des idées qui hors de ce cadre n’aurait pu être entendu. Il s’agit de trouver l’équilibre pédagogique entre la rupture pour capter l’attention, l’acquisition des connaissances et la progression vers l’objectif prédéfini. Autrement dit, éviter la saturation de l’attention pour garder son efficacité.

L’apprentissage non-conscient présente un atout majeur dans le processus d’apprentissage. Si l’on suit la théorie de la charge cognitive de John Sweller, il s’agit de réduite la charge mentale de l’apprentissage. L’exemple souvent cité est celle de la conduite automobile, l’automatisation de la conduite fait que le conducteur libère sa charge consciente pour penser à d’autres sujets, tout en étant capable de conduire le véhicule. Le cerveau qui ne représente que 2 % du poids du corps humain utilise 20 % de notre énergie totale. Le travail du cerveau est de s’économiser ou au moins d’optimiser son activité, la routine est un atout dans cette optimisation. Dans le cadre de la pédagogie, le micro apprentissage avec des feedbacks immédiats, et des répétitions dans le temps sont un atout pour acquérir des compétences automatisées. La pédagogie n’est pas toujours plus, mais toujours mieux.

Le système 1 n’est pas sans critique toutefois. La première qui pourrait être faite pour les tenants de l’Organisation Scientifique de la Formation qui insiste plus sur le contenu de la formation que sur son animation. L’effet waouh risque de se transformer en une course au spectacle permanent, amuser, errer sans but, distraire de la pédagogie, autrement dit perdre le sens de la formation. Passer un bon moment pour ces pédagogues n’est pas de la formation. On pourrait reprendre la distinction de fête apprenante qui pourrait compléter la notion de spectacle. La fameuse controverse entre D’Alembert et Jean-Jacques Rousseau. La seconde critique pourrait être celle du burn-out attentionnel, saturé le Système 1 qui perdrait en efficacité. C’est sans doute la raison pour laquelle il y a un travail de pédagogie, de cheminement dans les apprentissages pour construire un équilibre.

3, La pédagogie du Système 2

L’apprentissage conscient est au cœur de nos modèles de formation cartésien ou plus précisément rousseauiste avec « Emile ou de l’éducation » (1762). C’est la fiction de l’apprenant décideur de ses propres apprentissages. Dans les années 70, cela a pris la forme de la Théorie de l’apprentissage autodirigé, self-directed leaning qui est toujours dominante aujourd’hui. L’apprenant est autonome, il définit ses besoins, ses objectifs et ses moyens de les satisfaire. C’est un décideur en pleine conscience, la conscientisation. La pédagogie du Système 2 utilise des outils comme le journal réflexif, où l’apprenant note ses stratégies d’apprentissage et sa performance, ou encore, le feedback sur les retours d’expériences.

La pédagogie de l’apprentissage conscient est la quête de sens. La narration joue un rôle central. Construire un récit qui fasse résonnance avec la situation sociale du moment et qui structure l’expérience. Jean Baudrillard faisait cette distinction entre le réel qui ne parle pas et la réalité qui est l’interprétation sociale du réel. Dans des périodes de disruption, le récit doit être prospectif. Quels seront les futurs possibles ? Quels seront les défis à venir ? Mobiliser les apprenants pour les engager dans une belle histoire. Le philosophe Gaston Berger (Phénoménologie du temps et prospective, 1964) parle de pédagogie du futur, non pas prédire, mais façonner des avenirs plus éthiques quelle que soit la définition de l’éthique. L’apprentissage et une sublimation, au sens freudien, espérer un avenir meilleur pour stimuler l’engagement dans le processus de formation. Le système 2 est un processus de construire des histoires.

Le Système 2 favorise la création de réalités sociales partagées. C’est un atout énorme pour la formation. Le système 1 favorise les partages instinctifs comme le mimétisme, alors que système 2 est culturel, l’histoire devient un vecteur de cohésion sociale, capable de fédérer le groupe autour de valeurs, de connaissances ou de projets communs. Le premier Système connaît une limite biologique qui fait sens mais qui se limite autour de 150 membres (le chiffre de Dunbar), faire du commun trouve donc ses limites. Avec la construction d’un apprentissage narratif permet une industrialisation des récits. Yuval Noah Harari (Nexus, 2024) considère que c’est là le secret de la réussite de l’espèce humaine, construire des fictions collectives essentielles pour la coopération de masse. La formation de masse passe par le Système 2.

La pédagogie utilise une articulation du Système 1 et du Système 2 pour développer une désirabilité pour l’apprenant. La notion de désirabilité oscille entre réflexion et émotion. Avant de parler de snack content ou de slow content, il s’agit de construire une désirabilité sociale. Le désir est étymologiquement l’étoile qu’on attend et qui n’est pas là, un progrès pour l’individu, la personne et la société. L’entreprise est l’autorité qui construit l’histoire, de façon judicative, d’en haut, ou d’en bas pour faire un commun partagé. Et la formation est la mise en application de cette histoire, donner du sens à l’apprenant et une force sociale pour l’encourager à s’engager. Mais, çà c’est une autre histoire…

Fait à Paris, le 03 février 2025

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