La sobriété numérique de la formation

par | 4 avril 2023 | Technologie

La sobriété numérique est un sujet d’actualité. La formation, doit-elle être impactée par ce phénomène ? Déjà, certains parlent de « greentech », de « slowtech », de « lowtech », s’agit-il d’un phénomène de greenwashing, d’une mode verte, ou d’une véritable révolution structurante ? Qu’est-ce que cela peut vouloir dire dans le monde de la formation ? D’autres en appelle à l’obscurantisme face au progrès technique. Faut-il avoir peur des « Amish » numériques pour reprendre une appellation qui a eu son heure de gloire ? Le elearning ou l’EdTech, sont-ils un danger pour nos modalités de formation ? Que penser de tout ce battage médiatique ? La sobriété numérique, doit-elle structurer le devenir de la formation ?

1, Qu’est-ce que la sobriété numérique ?

Le terme de sobriété numérique a été créé en 2008 par Frédéric Bordage, fondateur de l’association Green IT en 2004 (www.greenit.fr) qui propose des actions militantes dans le domaine avec d’ailleurs des formations, des certifications pour œuvrer dans cette démarche politique, au sens noble du terme. Il existe bien des façons de poser le constat. Traditionnelles, on retient le chiffre proposé par une autre association française The Shift Project dans la même mouvance qui considère dans son rapport de 2018 que le numérique représente 4 % des émissions de CO2 dans le monde (3,7 plus précisément). Françoise Berthoud, fondatrice du Groupement de Service EcoInfo (CNRS) en 2012, complète le chiffre en ajoutant que le numérique représente 10 % de la consommation d’électricité dans le monde et il ne cesse de croître de 5 à 7 % par an. La solution la sobriété numérique.

Que faut-il faire ? L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, propose en septembre 2022 un étude orientée vers les particuliers « En route vers la sobriété numérique » (https://librairie.ademe.fr/cadic/6555/guide-en-route-vers-sobriete-numerique.pdf) qui propose de réduire les renouvellements trop fréquents de nos machines, d’assurer un « bon entretien » de son matériel, de limité son temps de connexion. Acquérir des bons gestes numériques avec toute une série de recommandations éco-citoyennes. Frédéric Brodage avait un chiffre parlant : « En 2022, envoyer un mail nécessite autant de puissance informatique que pour conquérir la lune en 1970 ». L’heure est grave et tout le monde est concerné. Or, selon leur propre étude, « 80 % des impacts du secteur numérique sont dus à la fabrication des appareils ». Green IT pose le même constat. Le numérique représente 40 % du budget « soutenable » européen pour atteindre la préconisation du GIEC pour limiter les gaz à effet de serre, mais la première cause pour 54 % provient de la phase de fabrication.

La sobriété numérique, c’est d’abord un problème d’offre. Cela pose la problématique de la structuration de la filière numérique et de l’organisation de l’orientation de ses investissements en R&D. D’ailleurs, c’est aussi une interrogation de la capacité de la France à faire bouger une trajectoire technologique où elle n’a pas investi. L’idée est assez simple. Si l’on fait une comparaison, le Club de Rome a été lanceur d’alerte avec son rapport « Halte à la croissance ? » (1972) où il montrait que le tout pétrole n’avait pas de sens, car les ressources des énergies carbonées étaient limitées et qu’il faudrait réinventer un modèle alternatif, ce que le premier choc pétrolier a mis en actualité. L’économiste Yves Crozet, remarquait qu’en 1970 une voiture consommait 10 litres aux 100 km, alors qu’aujourd’hui, c’est moins de 5 litres aux 100. Les créateurs de véhicule ont investi dans la sobriété énergétique pour économiser le carburant. La sobriété numérique en appelle à la même démarche éco-responsable avec la mobilisation de l’offre et de la demande. C’est une politique d’investissement dans la Greentech qui nécessite selon Rexecode (2022) entre 58 et 80 milliards supplémentaires pour la France.

2, La formation à la sobriété ou la sobriété de la formation ?

La formation comme objet culturel est touchée par les questionnements de la société, il s’agit pour certains d’une reproduction sociale ou pour d’autres une communauté de destin. La sobriété numérique devient donc une composante des formations ad hoc. Le mouvement social de décarbonations de notre économie nécessite de se poser la question de l’empreinte carbone de nos formations numériques. La sobriété numérique de la formation devient un acte militant. On pourrait toutefois soulever deux remarques. La première est pourquoi s’intéresser qu’à la formation numérique, on peut très bien aussi calculer l’emprunte carbone de la formation en présentiel avec par exemple le calcul de l’emprunte carbone des moyens de transport pour venir en présentiel. Cela permettrait d’avoir un paradigme plus large. Et la seconde est pourquoi s’arrêter au seul Gaz à Effet de Serre. On pourrait imaginer la même remarque sur la sobriété aquatique, avec le phénomène de l’eau caché ou de l’eau virtuel.

La formation devient à la fois un sujet de sensibilisation et aussi un sujet d’engagement. Pour favoriser l’engagement, il convient de se doter d’outils de pilotage. Si l’on prend le streaming pour des flux vidéo, 1 heure génère 56 gr de CO2, ou selon Swico, association des professionnels du numérique Suisse, par la voie de sa directrice Judith Bellaiche, « Les produits et services numériques génèrent plus d’émission de CO2 qu’ils n’en économisent ». Faut-il supprimer les MOOC ainsi que les Classes virtuelles du mix pédagogique ? La sobriété numérique peut être perçue comme un refus du progrès technique, d’ailleurs certains auteurs prône une politique de low tech voir de décroissance. Quel que soit le choix politique, la sobriété ne fera pas l’économie de la création d’indicateurs pour assurer le pilotage. Pourquoi pas un index sobriété pour nourrir le corporate branding ? Au moins une information éclairante pour faire jouer la concurrence par exemple les réseaux de fibre émettent 2 gr par heure alors que la 3G 90 gr, 5 pour la 5G.

Pour pouvoir former à la sobriété, il est nécessaire de construire une taxonomie du chiffre avec des indicateurs et des objectifs à atteindre. Ce chiffre doit être un indicateur socialement accepté. Aujourd’hui, il existe bien des indicateurs, mais ils sont militants, portés par ceux qui croient, reste à en faire société. Optimiser la finitude de notre monde est une chose socialement acquise, reste à former aux conséquences sociales de cette position. Et c’est là où la formation peut encore aider, pas seulement dans la formation elle-même que dans la pédagogie. Si l’on reprend la définition de Michel Maffesoli, il faut faire attention à une sobriété paranoïaque. Paranoïaque au sens étymologique signifie la pensée qui supplante, autrement dit les sachants qui annonce leur vérité et qui l’impose comme la Vérité. Cette réalité d’en haut dans une société de défiance peut devenir contreproductive. La pédagogie contemporaine propose de sortir des « institutions institutionnalisées », le sachant qui sait, pour s’ouvrir à des « institutions instituantes », redonner la main aux apprenants.

3, La sobriété heureuse

Le terme de sobriété heureuse est emprunté à Pierre Rabhi (Vers une sobriété heureuse, 2010) qui est un militant radical depuis son retour à la terre à la fin des années 50. La société connaît un moment rabelaisien, un passage d’un monde ancien vers un monde nouveau. La sobriété peut faire partie de l’équation, mais quelle que soit l’orientation choisie, la formation est par définition la clé de cette transformation. Comment les apprenants peuvent-ils acquérir les bons gestes ? La première réaction serait celle du 20ème siècle où le somment stratégique construit une cartographie de connaissance et de compétences pour ensuite le transmettre aux apprenants, mais c’est sans tenir compte de la sociologie des apprenants. L’apprenant a changé. Le 21ème siècle est un siècle nouveau pour la formation.

IPSOS a fait une série d’enquêtes sur la « Science et Société » en 2022, les Français sont profondément pro-scientifiques, cela n’a rien de surprenant, mais là où les chiffrent parlent, c’est que les Français ne font pas confiance aux autorités scientifiques, la crise du COVID n’a donc pas inversé cette crise de confiance bien au contraire. La grande nouveauté est que deux Français sur trois ont plus confiance dans leur voisin non-scientifique de dans cette même autorité. Les Français font plus confiance à leurs pairs qu’aux experts. Qu’est-ce que cela change ? C’est la montée en puissance de la pairagogie, la pédagogie entre pairs. Proposer une autre solution que des pédagogies imposée par le haut, construire une émulation apprenante fondée sur les apprenants, les fameuses communautés apprenantes.

La sobriété heureuse nécessite une pédagogie de l’engagement et pas seulement une pédagogie de la connaissance. Une nouvelle culture ne saurait être imposée par l’extérieur, mais organisée par l’intérieur, faire des apprenants des acteurs de leur propre transformation. C’est le paradigme des foules intelligentes (Howard Rheingold, 2005) est un moyen efficace pour lutter contre ce que Philippe Muray appelait « l’Empire du Bien », ce bien imposé de l’extérieur. Le travail d’organisation de la formation n’est pas tant d’être un relais informatif ou de connaissance qu’un espace de mobilisation pour mettre en œuvre une culture nouvelle. Et tout est à construire que ce soient les indicateurs de pilotages, les actions, la veille… c’est un écosystème nouveau qui s’invente, et pourquoi pas laisser l’apprenant trouver du sens dans cette démarche ?

C’est un monde qui s’invente. La formation est aussi et c’est là la nouveauté du 21ème siècle le siècle de l’émotion, la raison n’est plus le seul moteur de la formation. Et c’est de cette émotion que l’apprenant aura la joie d’apprendre. Faire des formations des aventures humaines. Aristote avait eu cette belle formule : « L’homme est un animal social » c’est dans cette confrontation aux autres qu’il construit son bonheur. Si l’on veut construire cette sobriété heureuse, il faut savoir érotiser ses formations, en faire des moments de liesse, de communions apprenante pour que se former devienne synonyme de bonheur partagé. Tout un programme qui reste à écrire.

Fait à Paris, le 04 avril 2023

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