Mobile learning, la guerre des supports a déjà commencé

par | 25 avril 2023 | Technologie

Cet article fait suite à la tribune de Matthieu Courtecuisse, Président de Sia partners, à l’Opinion, le 29 mars 2023 (https://www.lopinion.fr/economie/quand-toute-la-tech-prepare-la-fin-des-smartphones-la-chronique-de-matthieu-courtecuisse) dont le titre était « Quand toute la Tech prépare la fin des smartphones ». L’article prend une position forte, ce qui le rend particulièrement intéressant. Si c’est la fin des smartphones annoncé alors c’est le support du mobile learning qui est en interrogation. Par quoi seront-ils remplacés ? Comment se préparer aujourd’hui à cette annonce apocalyptique ? Qu’est-ce que cela pourrait changer dans le monde de la formation ? Est-ce la fin du mobile learning ?

1, La fin des rentiers des smartphones ?

Le premier smartphone a été inventé par IBM et mis en vente en 1994, IBM Simon, un « ordi phone », mais d’un succès modeste. Ce n’est qu’avec Nokia et Ericsson en 1998, puis BlackBerry en 2002 que le marché a commencé à décoller. La vraie innovation est venue avec l’arrivée d’Apple et la création de l’IPhone en 2007. Le retour de Steve Jobs à la tête d’Apple, s’est traduit par un changement de stratégie, la mobilité. C’est le lancement de l’IPod en 2001, puis l’IPhone et enfin l’IPad en 2010. Le génie de Steve Jobs est d’avoir complété l’écosystème par l’iTunes pour faire de l’IPhone une deep tech. Google propose dans la foulée Android comme système alternatif open source à l’IOS. En 2009, Samsung sous le système d’exploitation Android se lance dans la course des smarthphones. Ces primo arrivants sur le marché sont appelé par Matthieu Courtecuisse les « rentiers des smartphones ».

On pourrait rajouter Xiaomi qui s’est imposé comme le 4ième rentier. Mais peu importe le classement, il a permis de générer une rente d’innovation. En 2021, les frontières vont bouger : Epic Game, l’éditeur de jeu Fornite a intenté un procès à Apple pour abus de position dominante en raison des 30 % prélevé sur les transactions effectuées via l’App Store. Si le résultat était en demi-teinte, Apple n’a pas été reconnu comme violant les lois antitrusts américaines, c’est le début d’une fronde envers les rentiers des smartphones. C’est ce que Matthieu Courtecuisse appelle « toute la Tech » qui se prépare à mettre fin à ce privilège de l’innovateur. On peut noter que la généralisation qui considère « toute la Tech » comme une entité cohérente est douteuse, le mouvement a été entamé par certains.

Ce qu’Apple a compris très tôt, c’est qu’il était un supermarché d’appli, il a laissé la main aux développeurs pour qu’ils innovent et nourrissent le store dont il était propriétaire. Il devenait « The place to be », étant à l’origine la seule. Tout son travail était d’organiser l’attractivité de son écosystème. La massification des API faisant le reste, à ce jour plus de 250 000 API dans l’Apple store. Il a repris la stratégie de Facebook quelques années plus tôt dans le BtoC, faire en sorte que les créateurs de contenu puissent gratuitement composer du contenu que chacun aura plaisir à lire et d’y adjoindre un modèle économique en cas de monétisation. Ce modèle d’accessibilité au plus grand nombre est un atout majeur, une vraie leçon pour les solutions alternatives.

2, Quelles sont les alternatives possibles ?

La première est celle des wearables qui vient de l’anglais « wear », « porter », les objets portés au sein desquels il devrait y avoir les portables, mais pour éviter l’effet de masse, les wearables ne contiennent pas les smartphones. Ce qui est intéressant est qu’Apple en a fait son levier de croissance et les résultats sont au rendez-vous avec une croissance mondiale à deux chiffres. Sur 10 smartphones achetés dans le monde, on a 1 watch acheté. Résultat, Apple est leader mondial devant Samsung. Le talent d’Apple est de savoir érotiser ses produits pour susciter l’adhésion et l’achat, ce n’est pas si commun pour le souligner. Apple veut en faire un outil de e-santé, grâce à la collecte des data, et ce sera là un enjeu majeur pour l’évaluation des besoins de formation ainsi que de leur satisfaction, au sein d’une politique de Big data.

La deuxième alternative est celle de l’IoT (Internet of things) hors wearables et portables. Ceux sont les outsiders qui tentent l’ouverture d’un nouveau levier de croissance, avec dans les rôles principaux Amazon et Meta. Amazone investit 10 milliards de dollars par an dans la vox tech, jouant de son avantage concurrentiel avec Alexa. Il s’agit d’un débouché naturel pour la formation avec l’enseignement. Il existe déjà des formations sur Alexa reste à les massifier pour que chacun puisse faire sa propre formation, et Amazon gèrera la monétisation. Meta quant à lui après le rachat d’Oculus investit sur un plan de 5 ans avec 10 milliards par an pour réussir le pari du Metaverse, l’ordinateur ou le smartphone peuvent remplacer par un bureau hologrammique 3D. Google glass en 2013 avait tenté une expérience moins immersive et qui a connu l’échec que l’on connaît. Pourquoi, il existe différentes raisons, mais la principale est que la massification de la production de contenu n’est pas ergonomique. C’est le cœur stratégique de construire une ergonomie des contenus pour assurer le succès.

Enfin, on peut noter les autres participants qui tentent des choses, mais qui ne semblent pas encore prêts à devenir le nouvel accès au web. On peut citer Elon Musk pour deux de ses inventions. La première est de tenter de faire de la voiture électrique, Tesla, un accès privilégié au web. Il propose un autre angle totalement différent avec Neuralink avec l’implantation de connexion neuronale directement dans la boite crânienne pour pouvoir commander les ordinateurs et autres objets connectés par le cerveau, mais aussi à terme de permettre au ordinateur de télécharger des connaissances et des compétences directement dans le cerveau. Elon Musk est près, il attend les autorisations pour faire les premiers tests humains. Le foisonnement des inventions existe, reste à construire une innovation sociale qui transforme l’invention en réalité. Les choses bougent.

3, La pédagogie doit devenir agile

En 1964, Marshall McLuhan disait « le media est le message », cette citation d’avant le web et d’avant internet est particulièrement riche pour notre propos. Chaque média a sa grammaire, sa façon d’écrire des contenus qui lui sont spécifiques. Et chaque grammaire évolue avec les usages et le temps. La pédagogie se doit d’être de son temps pour être en société. La multiplication des supports de formation potentiels pose le même problème que le mobile learning a eu face aux apprentissages filaires, il faut le temps de créer les produits. Prenons un exemple, l’IPhone est né en 2007, Klaxoon est né en 2014 avec une solution originale, il a fallu 7 ans. L’accélération de la courbe de Gartner fait qu’il faut des produits qui ont 1 an tout au plus pour une fois annoncé trouvé son usage. ChatGPT a été adopté en quelques semaines, un nouveau monde celui des inventeurs, la « Belle époque » de l’EdTech.

Le numérique est une liberté nouvelle offerte aux apprenants se former où l’on veut et quand on veut. Le 21ème siècle est le siècle des apprenants, les innovations sont centrées sur l’apprenant, c’est donc aussi un changement de paradigme social. Les pédagogues l’abordent par le biais de la technique alors que l’on pourrait l’aborder par la mise en profondeur du mix pédagogique, organiser l’offre produit quel que soit le support. C’est un gros travail de déploiement. Le rôle nouveau des IA générative, sur le modèle de ChatGPT, peut être un atout dans cette problématique avec la création de contents adaptés à chaque support, favorisant ainsi sa massification. L’IA est capable d’adapter le contenu au support choisi et de le décliner à l’infini que ce soit en texte, en image, en audio ou en vidéo. La pédagogie peut alors contourner la technologie par un travail sur la taxonomie. Quels sont les choix de contenu dans une société qui bouge ?.

Reste enfin l’organisation du multicanale dans le mix pédagogique. Plus les canaux se multiplient plus il faut être vigilant à la cohérence pédagogique. Prenons l’exemple de la voix avec le podcasting ou l’agent conversationnel, c’est un outil extraordinaire d’acculturation, découvrir une culture en écoutant, voire en échangeant. Le vox learning first nécessite d’organiser le reste avec le texte, l’image ou la vidéo. Tout est bon, encore faut-il construire un ordre pour faire pédagogie et surveiller les évolutions sociologiques. Quels sont les supports préférés des apprenants ? Comment les apprenants s’approprient les usages, voir en inventent de nouveaux ? Les supports ont une durée de vie limitée, avant d’en trouver un qui s’inscrive dans le temps. Les enquêtes montrent que le smartphone 2D est de plus en plus limitant pour ses usagers, et que les usagers attendent des supports plus « naturelles ». La demande est là contrainte, reste à proposer une offre qui y réponde.

On assiste à un moment schumpetérien de « destruction créatrice », ce qui est impressionnant, c’est la rapidité des changements. La tech est ouverte à l’innovation. L’EdTech suit ces tendances structurantes pour proposer des usages sur des trajectoires technologiques qui ne sont pas encore stabilisées. Le travail n’est pas tant dans la veille que de comprendre les potentialités qui n’existent pas encore. Le mobile learning n’est pas mort, il se réinvente, et les premiers innovants seront les rentiers de demain. Le travail n’est pas de construire la bonne pédagogie faute d’avoir la bonne technologie, mais d’apprendre à pratiquer une pédagogie agile qui se construit en faisant, l’âge du faire. C’est peut-être cela que certains appellent « apprendre à apprendre »…

Fait à Paris, le 25 avril 2023

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