L’individualisation de la formation est une vielle histoire dans la formation professionnelle.
Elle remonte conceptuellement à l’idée du « Maitre intérieur » de Saint Agustin au Moyen Age et à l’ergo sum cartésien « dans la forteresse de ses pensées ».
Et sa concrétisation dans la formation des adultes est née de la seconde moitié du 20ième siècle.
De la seconde moitié du 19ème siècle, jusqu’à la première moitié du 20ème siècle, la formation était liée à la promotion sociale, c’est une promotion sociale collective fondée sur les classes sociales qui servait de référence.
L’individualisation ouvrière est selon Jean-Pierre Terrail né à la fin des années 50 (Destins ouvriers, la fin d’une classe ? 1990).
L’individualisation était perçue par certains syndicats comme une trahison de classe et donc une volonté du « grand capital » de déstabiliser la lutte des classes.
Cet émiettement des apprenants (La travail en miettes, Georges Friedmann, 1964) qui a profité des « Trente glorieuses » a été renforcé par l’émergence du numérique avec des conséquences particulières dans le monde de la formation.
1981, naissance du PC, Personal Computer, les apprenants early adopters pouvaient se doter d’un ordinateur personnel connecté, ARPANET existe depuis 1969, ce qui ouvre la voie à la notion de relation apprenante dans la formation et la naissance du e-learning.
1993, naissance du web, la relation devient interactive. L’individu reprend la parole, l’adulte n’est plus un enfant, étymologiquement privé de parole, il devient acteur de sa relation apprenante.
Avec la loi de Moore sur l’évolution de la puissance de calcul des ordinateurs, la machine peut proposer l’adaptive learning faire du sur-mesure pédagogique. La formation propose une personnalisation, les algorithmes pousse du contenu en fonction de la performance de chaque apprenant .
L’individualisation s’est imposée comme le paradigme dominant.
Et pourtant… l’émiettement de l’apprenant a eu dès le début une difficulté, personne n’aime apprendre seul.
La formation n’a d’intérêt que lorsqu’elle est liée, comme au début du 20ème siècle, à la notion de promotion sociale, c’est ce que Sigmund Freud appelle la sublimation.
L’apprenant accepte de passer du temps à travailler seul au lieu de prendre du plaisir immédiat parce qu’il espère profiter du plaisir reporté à l’échéance de la formation, la promotion sociale était le prix de la formation.
Outre le fait que tous n’ont pas la même capacité de projection, ou de sublimation, en période de disruption, l’avenir n’est plus assurer et la formation peut de moins en moins garantir la promotion sociale. Pour beaucoup, la formation ne fait plus résonance.
Cela explique pour partie, la préférence des apprenants pour le présent.
Alain-Frédéric Fernandez, expert de la formation, estime que seulement 4 % de personnes arrive en entretient professionnel avec un projet.
Les collaborateurs comme les apprenants, sont opportunistes plus que projectifs.
Quelle conséquence pour la formation ?
La réponse souvent proposée est de mettre une plate-forme LMS à disposition des apprenants pour qu’il puisse choisir ce qu’il veut apprendre.
Cette solution répond bien à l’idéologie de l’apprenant acteur de ses apprentissages.
Mais cela ne marche pas, à trop proposer, on réduit l’envie d’apprendre. S’il y a bien une appétence à apprendre, il n’y a pas d’appétence à se former surtout sans la promotion.
La formation est un apprentissage socialisé, il faut que la société socialise, donne envie, c’est le travail du marketing de la formation.
Le grand changement structurel est le passage de l’individu à la personne.
L’individu est la brique indivisible du système, il est social et structuré, alors que la personne, l’être derrière les masques sociaux, est subjectif et changeant.
Si l’individu fonctionne bien à la réclame, un argumentaire ciblé, la personne fonctionne plus à la publicité, l’émotion, ce qu’on appelle la Learner eXperience (LX).
L’homme est un animal social disait Aristote.
L’apprenant est un animal social.
Faire du commun en formation devient une demande des apprenants. Michel Maffessoli avait parlé du Temps des tribus (1988) comme réponse à la « Société des individus » (Norbert Elias, 1987).
Réenchanter la formation.
L’apprenant est un « Homo festivus » (Philippe Muray, 2005), dionysiaque (Maffesoli, 1982) avec une volonté de lutter contre l’individualisme lui préférant un apprendre ensemble.
Les communautés apprenantes ont pris leur essor avec la naissance du mobile learning (2007), ce que certains appellent les formations Tiktok avec une pédagogie nouvelle qui favorise la pairagogie et l’engagement.
L’animation devient un moyen de construire ses liesses apprenantes centrées autour d’un commun, souvent l’identité des métiers.
Les pédagogies affectives permettent de faire la fête ensemble, apprendre seul ensemble.
L’engagement devient du Learner Generated Content (LGC), l’apprenant génère lui-même son contenu, encore faut-il avoir fait le travail d’organiser ses territoires où la parole se libère.
La communion apprenante passe la cristalisation apprenante autour d’un événement extraordinaire, qui sorte de l’ordinaire comme invité une personnalité inspirante ou tout simplement l’événementalisation de l’ordinaire, faire un challenge apprenant.
La pédagogie refait chemin.
Il ne s’agit plus d’écouler des contenus de plus en plus librement disponibles sur le web, il s’agit de construire la cristalisation sociale, donner l’envie d’apprendre parce qu’il se passe quelque chose d’unique où tout est possible, le fameux FOMO (Fear Of Missing Out), peur de rater quelque chose, devient un outil de désirabilité. Une mise en tension apprenante.
Mais la pédagogie festivus a d’autres ressorts.
Le neuroscientifique Paul Zak dans son dernier ouvrage, « Immersion, la science de l’extraordinaire et la source du bonheur » (2022) montre comment l’immersion, un état d’engagement profond et de concentration intense, peut dans des tâches quotidienne améliorer notre bien-être, être fortement présent dans ce que l’on fait augmente son bonheur.
Il avait déjà mis en évidence (2005) que l’ocytocine, la molécule de la confiance, permettait de partager le plaisir d’apprendre ensemble. Apprendre ensemble devient une aventure créatrice de bien-être, et en plus consolide la mémorisation.
Former devient un moment de création de plaisir qui fait que l’apprenant est prêt à apprendre n’importe quel contenu pour peu que le pédagogue ait fait son travail d’érotisation social.
Avec l’enrichissement de la définition de l’homme rationnel avec l’émotionnel et le relationnel, c’est toute la définition de la formation qui s’en trouve transformer.
L’individualisme s’ouvre à l’ère du nous (Martin Heidegger), la formation devient l’outil et la finalité du bien-être personnel et social.
Fait à Paris, le 11 juillet 2024
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