Les managers doivent se réinventer.
Le sociologue Luc Boltanski a mis en évidence depuis les années 80, le besoin de faire émerger un « néo-management » (Le nouvel esprit du capitalisme, 1999) pour sortir du manager de l’Organisation Scientifique du Management.
Près de 50 ans après, le référentiel du manager nouveau est toujours en construction, et toujours en train de s’enrichir avec par exemple la montée en puissance de la cognition qui vient suppléer la communication ou l’éthique.
Tout change et pourtant rien ne change.
C’est le cœur de la crise française du management.
Il y a une spécificité française qu’on ne retrouve pas dans les autres pays.
Quelle réponse apportée par la littérature ?
Il faut former davantage les managers.
Soit, mais les former à quoi ? Qu’est-ce qu’un bon manager pour la société ?
Les réponses varient fortement selon les auteurs, ce qui est normal en période de transition organisationnelle, il faut donc trouver un référentiel qui tienne compte de la transition et qui propose un progrès social.
Le manager stoïcien, serait-il un début de réponse ?
Epictète propose un stoïcisme intéressant.
Dès la première phrase du manuel écrit par Arrien comme synthèse des Entretiens, il dit : « Parmi les choses qui existent, certaines dépendent de nous, d’autres non ».
Epictète propose de discerner ce que nous pouvons contrôler, comme nos pensées ou nos actions, et ce qui ne dépend pas nous comme les actions des autres.
Le manager n’agit que ce sur quoi il peut agir. Organiser le travail des autres, faire un discours inspirant dépend de lui, mais la réalisation de ce travail, dont il est responsable, dépend de ses collaborateurs.
Si les résultats ne sont pas au rendez-vous, il s’agit de l’accepter et d’agir sur quoi on peut agir. Il est possible d’organiser différemment les choses, mener un travail d’écoute pour trouver des solutions nouvelles,…
Accepter le réel pour agir mieux dans nos espaces de liberté.
Ne pas rajouter de l’émotion à la situation, comme par exemple la peur de ne pas atteindre ses objectifs, regarder la situation en face et faire le maximum de ce que l’on croit juste, les stoïciens parle de « vertu », avoir le courage de faire tout ce que l’on peut quelle que soit la situation.
Faire de ses pratiques une aventure personnelle, un dépassement de soi pour apprendre à mieux se connaître comme homme et comme manager.
Cette quête professionnelle et personnelle doit se faire en harmonie avec le monde qui nous entoure, que ce soit avec les personnes ou avec la nature, éco responsable dirait-on aujourd’hui.
Un équilibre des choses.
Pourquoi le stoïcisme serait une belle approche pour le manager ?
Comme Sénèque l’a illustré dans sa « Lettre à Lucilius », un enseignement épistolaire au stoïcisme : pour construire la paix intérieure et la sérénité du manager.
Dans un monde où les managers à 41 % se sentent seuls dans leur pratique et à 91 % pas reconnus à leur juste valeur par son entreprise, les Stoïciens leur propose une autre façon de penser le travail, faire ce qu’il a à faire dans son propre jugement, ce qui lui procurera le plaisir de l’épreuve sans avoir besoin des autres pour construire sa propre autonomie.
Dans un monde émotionnel, le stoïcisme est une proposition pour développer ce qu’on appellerait aujourd’hui de l’intelligence émotionnelle et assurer ainsi une régulation nouvelle entre la personne et le social, le développement personnel et l’ambition sociale.
Dans un monde liquide, où il est difficile de définir des objectifs stables, faire du manager un acteur solide de la performance est intéressant.
Le management a longtemps été fondé sur la rationalisation des process réduisant le manager soit à un gendarme qui impose soit un tacticien qui cherche à satisfaire des KPI définit ailleurs.
Aujourd’hui le manager peut construire une autre raison d’être.
Certains auteurs comment le travail.
Le sociologue Ryan Holiday a fondé ses ouvrages sur le stoïcisme avec des ouvrages comme « L’obstacle est le chemin, de l’art éternel de transformer les épreuves en victoires » (2015), « L’ego est l’ennemi, maîtrisez votre plus grand adversaire » (2016), « Une année avec les stoïciens, 365 enseignement pour déployer son potentiel » (2017) ou « Le choix du courage » (2021), pour ne citer que certains ouvrages.
Une nouvelle histoire de manager s’écrit avec un nouveau référentiel de connaissances et de compétences.
Mais, former les managers, c’est aussi redonner de la valeur sociale au métier de manager.
Quand on voit que pour les non-managers, les deux tiers se refusent de devenir manager un jour. Le métier ne fait plus envie malgré la rémunération.
En en faisant du management, une école de vie personnelle, profiter des épreuves de la vie en entreprise pour donner le meilleur de soi, le courage de se frotter à la vie sociale pour s’améliorer dans le temps, le métier de manager se remet en société.
Le manager devient une éthique de la performance pour redonner une saveur sociale à ces pratiques, une nouvelle identité sociale.
Il ne s’agit pas tant d’être déclaratif, construire des standards sociaux, que de les incarner dans les pratiques.
Créer une communauté de manager pour construire une proximité métier qui sort de l’isolement en créant une identité professionnelle, identité, ce qui est identique et qui rassure, qui prend soin.
Faire de l’identité métier la constitution d’une construction de soi.
« Je est un autre » disait Arthur Rimbaud, on pourrait lui opposer « l’autre est un Je ».
Se construire sur un nous.
Le management des autres devient aussi un management de soi.
Le manager stoïcien est un projet de vie… professionnelle, une animation du professionnel par le personnel.
« Deviens ce que tu es » disait Friedrich Nietzsche.
Et il ajoutait « Fais ce que toi seul peux faire ».
Le manager devient personnel, c’est un travail d’individuation, construction de soi.
Le stoïcisme nous invite à faire des choses dans le monde, à se découvrir dans ses actions, à avoir le courage d’apprendre, de se transformer face aux événements.
Le manager le fait pour soi et son exemplarité fait social pour les autres.
Comme quoi les Anciens ont encore la possibilité de nous former…
Fait à Paris, le 9 juillet 2024
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