L’Empire du Bien-être fait référence à l’ouvrage de Philippe Muray, L’Empire du Bien, publié en 1991, une analyse sociologique et satyrique, un regard sur les fêlures sociales de notre époque.
« Heureux soient les fêlés, car ils laisseront passer la lumière » (Michel Audiard).
Philippe Muray dénonce « un totalitarisme des bons sentiments ».
« Nous vivons sous le règne du Bien totalitaire », « la dictature du prêt-à-penser et de la bienveillance, rançon de l’inculture, empoisonne nos vies de joyeuses factices dans lequel l’homme contemporain se perd ».
Il est vrai qu’il semble difficile de penser une formation au mal-être et pourtant la formation aux risques psycho-sociaux (RPS) n’est-il pas une formation à réduire le mal-être plus qu’à construire un bien-être ?
Le bien-être fait consensus.
Penser le Bien.
« Notre temps est si rongé de bonnes intentions, si désireux de faire le bien qu’il voit le mal partout » (Après l’Histoire, 2007).
Le Bien-être s’impose comme un paradigme dominant, si l’on reprend la définition du philosophe et historien des sciences, Thomas Kuhn (La structure des révolutions scientifiques, 1962), une doxa qui s’impose et qui fait empire pour la bien-pensance, ceux qui pensent le Bien.
La bonne formation.
Il ne s’agit pas tant de critiquer la notion de paradigme dominant qui est essentiel dans le bon fonctionnement de nos sociétés, elle permet de faire société et assure la cohésion de l’ensemble.
Il s’agit de proposer un « pacte de lucidité » (Jean Baudrillard, 2004) pour comprendre les croyances sociétales qui fondent la formation et en faire un outil opérationnel le plus lucidement possible.
La formation connaît un moment de bascule dont le bien-être est un symptôme et qui réinterroge nos définitions de la chose formée et la notion de vérité sociale, ce que la société nous dit être le vrai.
L’idée du Bien n’est pas une nouveauté, sans remonter à l’Antiquité, chaque période a sa définition.
L’historien français George Vigarello a montré que la fin du 19ème siècle définissait le bien-être, être bien, comme l’homme qui de raison pratiquait l’hygiène, la santé et les activités corporelles comme le sport.
Le bien-être dominant était hygiéniste (Le propre et le sale, l’hygiène du corps depuis le Moyen-Age, 1987).
L’argument de soumission du plus grand nombre est, comme souvent, l’argument scientifique : « C’est la Science qui parle ». La pression sociale permet ensuite de soumettre par la stigmatisation ceux qui serait dans le camps du Mal, et finalement obtienne une majorité d’adhésion.
Il y a les gens bien et les autres.
La formation devient un levier de transformation pour acquérir ces nouveaux comportements.
Aujourd’hui, l’hygiène physique est enrichie d’une hygiène mentale, prendre soin de soi physiquement et mentalement.
Comment expliquer la montée en puissance du phénomène de bien-être ?
La thèse de Benoît Heilbrunn (L’obsession du bien-être, 2019) est que l’apparition de la consommation de masse, l’accès au confort ainsi que l’émergence de l’Etat-providence, qui se dit en anglais « welfare state », « Etat soucieux du bien-être » ont fait émerger l’injonction du bien-être contemporain comme « une religion du bien-être », le bien-être sort de la santé pour devenir une « expérience intérieure ».
Prenons un exemple. Aujourd’hui, le quinoa, produit nourrissant riche en protéine et fibre, devient l’expression d’un choix de vivre. Didier Bazile démontre cette montée en puissance de ce produit bio, équitable ou éthique (Le quinoa, les enjeux d’une conquête, 2015).
Le quinoa devient un acte militant, certains disent pour les « bobos » (Bourgeois Bohèmes).
Le sociétal réinvente un bien-être pour la société, comme la pomme de terre il y 250 ans ou le riz un peu moins d’un siècle.
Le bien-être est politique au sens noble.
Ces choix permettent de construire un référentiel de connaissances et de compétences ce qui ouvre aux objectifs pédagogiques et donc à la formation.
La question est de savoir qui définira ce référentiel.
La première réponse qui vient à l’esprit, comme au 19ième siècle et au 20ème siècle, avec l’Organisation Scientifique de la Formation, le bien-être est défini d’en haut, les experts de l’expertise, des scientifiques, qui disent le bien pour ceux d’en bas, à l’aune de la Science pour renforcer la légitimité de la décision, puis demandent à la ligne hiérarchique d’imposer cette normalisation.
Cette idée est renforcée par le fait qu’en matière de bien-être, les collaborateurs ont du mal à rationaliser les émotions et leur sentiment.
« Le fruit est aveugle. C’est l’arbre qui voit » (René Char, Feuillets d’hypnos, 1946)
Autant demander à ceux qui voient.
L’infantilisation de l’expression du bien-être est pour un bien-être social.
Notre siècle est celui de la défiance des élites (Pierre Cahuc, Yann Algan, La société de la défiance, 2007), il devient de plus en plus difficile d’imposer une norme sociale et comme le management n’est plus en posture d’imposer, mais de composer.
Une fois, le bien-être définit, le marketing social devient indispensable pour « vendre » l’idée qui a été pensée ailleurs.
Au moment où les foules deviennent intelligentes (Howard Rheingold, 2005) ne serait-il pas intéressant de partir de ceux qui vivent le bien-être pour structurer un référentiel ?
Le gros avantage de cette méthode botoom-up est qu’elle évite de travail de marketing Top-down puisque la proximité a permis l’adhésion et l’engament des collaborateurs. « C’est eux qui choisissent ».
La promesse du bien-être et la transparence permettent de reconstruire une dynamique de confiance sociale.
La formation n’est plus « former au bien-être » comme il est bien d’être, mais un lieu où il est bien d’y être, une incarnation du bien-être, un spa de jouvence.
Il ne s’agit pas de dire le bien-être, mais de le faire.
Le pédagogue Kurt Lewin avait montré qu’un changement de comportement passait par le fait de faire ensemble, profiter de la dynamique du groupe pour réduire la difficulté du passe à l’acte.
La formation est plus que jamais entrée dans l’Age du faire.
Le bien-être est une courbe d’apprentissage qui s’inscrit dans le temps où l’incarnation est le moteur plus que la conscientisation. Le formateur devient un ambassadeur bien-être, une référence à imiter consciemment ou non.
Avec le bien-être, la formation propose un nouveau contrat social, qu’il faudra définir pour faire corps.
Le responsable de formation, deviendra-t-il alors un Chief Happiness Officer ?
Fait à Paris, le 8 juillet 2024
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