La fin du snack learning ?

par | 14 octobre 2025 | Marketing, Pédagogie

Le snack content a fait son entrée en France via la communication numérique en 2015 avec son ambassadeur, le créateur de contenu, Simon Cachera. Dans un monde où l’attention pose de plus en plus de problème, il propose une solution bien adaptée : des contenus courts, immédiatement accessibles, faciles à consommer. Il a fait son entrée en formation au sortir de la crise sanitaire avec un pic de visibilité en 2022. La promesse séduit avec des formats courts, micro-vidéos, quiz flash… Toute une pédagogie a adopté cette pratique marketing : capter vite, faire simple, multiplier les formats légers. Le snack content devient la référence face au slow content (https://affen.fr/pedagogie/formation-que-penser-de-la-battle-snack-content-vs-slow-content/). Or selon le Rapport Metricool 2025, sorti le 6 octobre 2025, le content n’est plus ce qu’il était : les vidéos courtes explosent, mais l’impact s’effondre. 2025, sera-t-elle l’année du retournement ? Le retour des formats longs ? Comment la pédagogie doit-elle réagir face à ce phénomène ? S’agit-il de la fin d’un cycle, et de l’émergence d’un nouveau ? Que faut-il en penser ?

1, Le snack content ou la pédagogie fast-food

La pédagogie est le chemin pour atteindre les objectifs prédéfinis, la pédagogie fast-food est faire le chemin plus rapidement en émiettant les formats. Il devient alors possible d’avaler une formation sur le pouce, entre deux réunions, dans les transports. La pédagogie fast-food est une liberté nouvelle offerte aux apprenants, apprenez quand vous voulez. Et si le micro-learning est bien écrit, alors l’attention est captée et c’est le début du processus d’apprentissage. La pédagogie distribuée dans le temps et dans l’espace permet parfois une efficacité plus forte que la pédagogie massifiée. En introduisant des stimulations inattendues, un SMS ou un quiz, sollicite la mémoire de travail et favorise la consolidation à long terme. La réactivation non anticipée est idéale pour la mémorisation. La pédagogie fast-food s’inscrit dans le temps social du moment, l’accélération de Hartmut Rosa.

Le temps passé sur une vidéo ne cesse de baisser. Metricool le chiffre à 3,7 secondes, autrement dit, si dans les 3,7 secondes l’attention n’a pas été accrochée l’apprenant zappe. Il y a donc un travail d’écriture pour capter l’attention, le fameux buzz. Entre 2024 et 2025, le nombre de vidéo courte sur les réseaux a progressé de 71 %, c’est énorme. Le nombre de compte créateur de 50 %. Le temps est à l’infobésité. Forcément, lorsque l’on analyse l’efficacité, face au flow, au flux de vidéo, la performance s’effondre moins 69 % de chance d’être vu, 21 % d’interaction en moins, 22 % en moins de portée, en une année. Et pourtant, le temps passé sur les réseaux ne cesse d’augmenter, le consommateur s’y retrouve en scrollant de plus en plus vite, il voit de plus en plus de chose saillantes. Les comportements de consommation changent en général, la formation se trouve forcément impactée par la consommation vidéo des apprenants.

Dans le zapping cognitif, l’algorithme remplace la pédagogie, l’enchaînement remplace la construction, le parcours devient playlist. De nombreuses voix se sont élevées pour critiquer ce phénomène. Bernard Stiegler considérait que « l’uniformisation algorithmique produit une misère symbolique, car elle détruit la singularité des expériences et des savoirs » (Dans la disruption, 2016). L’économie de l’attention, substrat du snack content, se traduit par un affaiblissement de la capacité de chaque apprenant à devenir un être pensant, autonome, capable de construire des projets. Bernard Steigler parle même de « désindividuation ». L’individuation étant un processus continu par lequel un individu se forme, la désindividuation est un processus psychologique par lequel l’individu perd sa conscience de soi, son identité individuelle. Pour ces auteurs, le snack content réduit l’autonomie de l’apprenant à se construire, la fameuse conscientisation des apprentissages.

2, Un besoin de temps long

Du point de vue des neurosciences, Kent Berridge et Morten Kringelbach (Pleasure systems in the brain, 2015) montre que le snack content active un circuit de récompense avec des pics de dopamine, renforçant l’engagement à court terme. Autrement dit, une vidéo de 30 secondes active l’engagement et la mémoire prospective, cette capacité à se rappeler d’agir comme envoyer un mail, la contrepartie est que le snack content active rarement la mémoire sémantique qui est une des formes de la mémoire à long terme. Le snack content favorise l’action, mais pas la réflexion. Par ailleurs, comme l’a montré Haifeng Zhang (and al, The effect of short video exposure on sustained attention, 2022) à partir de l’électroencéphalographie, EEG, le snack content généralisé réduit l’activité des ondes thêta, associé à la concentration. Le snack content à haute dose augmente notre capacité à traiter plus d’information, mais réduit nos capacités de concentration et de mémorisation conceptuelle.

C’est peut-être la raison pour laquelle en même temps que l’on assiste à l’explosion des formats courts, on assiste aussi à la montée en puissance des formats longs. Le magazine The conversation qui présente une version courte et une version longue, plus de 1 500 mots, affirme que la version longue génère plus de clic que ses versions courtes. Il ne s’agit pas d’une nostalgie d’une autre façon d’apprendre dans un monde qui s’est accéléré, mais d’une adaptation à la saturation. Le temps long permet de développer un point de vue, de raconter une histoire, d’offrir des nuances. Le savoir fragmenté lasse, le savoir raconté captive. L’apprenant a besoin qu’on lui raconte une histoire. « Le storytelling ne consiste pas à divertir, mais à structurer l’expérience » (Christian Salmon, Storytelling, 2007). La pédagogie ne consiste pas seulement à capter l’attention, mais à structurer les apprentissages.

C’est sur cette idée qu’Ivor Goodson a fondé le courant de la pédagogie narrative (Studying teachers lives, 1992) avec le concept de « narrative learning ». Pour lui, apprendre, c’est d’abord se raconter, réorganiser ses expériences de vie en récits porteurs de sens. Michael White et David Epston utilise la belle formule de « re-authoring », réécriture de soi, reconfigurer ses histoires pour permettre une transformation personnelle. Le temps du récit est un temps long. « La narration de soi est une manière d’exister dans le monde et d’y trouver du sens » (Ivor Goodson, Narrative learning in practice, 2004). Former devient le fait de créer une histoire, une identité sociale qui permette à l’apprenant de répondre à son besoin de conformité, intégrer l’histoire des autres, et celui d’écrire sa propre histoire, besoin d’émancipation. Ce travail prend du temps et de la pédagogie s’inscrit dans le temps long pour faire sens.

3, La montée en puissance de la marque apprenante, learnal branding

La diversité des formats, entre snack content et slow content, connaît une inflation généralisée, particulièrement avec la montée en puissance de l’IA générative. Comme le souligne Jean-Gabriel Ganascia : « la prolifération algorithmique génère une redondance informationnelle qui noie la pertinence sous la quantité » (Le mythe de la singularité, 2017). Aujourd’hui le monde entier devient auteur de contenu, se pose alors le problème de la visibilité. Certains misent sur la viralité, d’autres sur la puissance du récit. Quelle que soit la stratégie retenue, l’infobésité impose une nouvelle exigence : créer une marque pour fidéliser les apprenants dans le temps. L’économie de l’attention appelle une nouvelle stratégie de la présence. C’est le temps des learnal brandings. Il ne s’agit plus simplement de produire des contenus, mas de construire des univers d’apprentissage cohérents et engageants.

Henry Jenkins parle de « narrations transmédiatiques » (Convergence culture, 2006) qui engage l’apprenant dans une expérience répartie sur différents formats et temporalités. Une formation au management devient ainsi une marque militante, porteuse d’une histoire sur le leadership, la responsabilité ou l’engagement. Chaque module, chaque format, participe à la construction d’une identité pédagogique forte, un produit signature comme l’écoresponsabilité et la pairagogie qui différencie. Cette marque parapluie fédère les contenus et permet à chaque déclinaison de rappeler la marque, gain de visibilité et fidélisation des apprenants qui connaissent déjà son positionnement. Le marché de la formation est aujourd’hui learner driven, orienté par les attentes et les désirs de l’apprenant, le travail de marque consiste à anticiper les attentes, à construire une expérience cohérente, learner experience et à fidéliser dans le temps.

La marque n’est alors plus seulement un signe, mais un lieu symbolique d’appartenance. C’est elle qui permet de relier des temps courts de l’attention et les temps longs de la transformation. L’outil de choix est la communauté apprenante, comme le propose Etienne Wenger et Beverly Trayne parle de « landscapes of practice », espace de pratiques (Learning in landscapes of practice, 2014). Ils montrent que les professionnels ne se construisent pas seulement dans leur communauté directe de pratique, mais dans un paysage plus large de conversations, d’héritage ou de récits partagés. La marque n’est plus seulement un positionnement avec une base line, mais un lieu symbolique d’appartenance. Dans un système saturé de sollicitation, la marque apprenante se distingue par sa capacité à construire une relation durable. Là où le snack content capte l’attention, la marque fidélise, elle devient un point d’ancrage dans le temps… à condition de faire vivre la marque.

Le raisonnement sur les formats, courts ou longs, est un héritage du XXe siècle. Il repose sur une vision statique du contenu, où l’essentiel est déjà défini, prêt à être diffusé. Une fois le message stabilisé, il ne resterait qu’à choisir le canal et la durée optimaux pour toucher un public supposé homogène. Mais le XXIe siècle commence par la disruption où l’ancien paradigme de la transmission laisse place à de nouvelles formes d’apprentissage. Comme le soulignait Michel Serres, « nos institutions sont fondées sur la rareté de l’information ; or, cette rareté a disparu » (Petite poucette, 2012). L’expert cède sa place à l’apprenant comme figure centrale du processus. Ce dernier attend des learner experiences qui associent tout à la fois la raison, l’émotion et la relation. Le learnal branding est un outil du 21ème siècle, encore faut-il avoir le courage de dire quelque chose qui fasse sens, la question devient alors pour quelle société je milite dans ce monde qui se transforme ?

Fait à Paris, le 14 octobre 2025

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