Faut-il créer une Académie interne dans les entreprises ?

par | 8 avril 2025 | Marketing, Pédagogie, Responsable de formation

Les entreprises parlent de plus en plus de la volonté de créer des écoles internes, ce sujet d’actualité fait écho à un article que j’avais écrit en 2020, « faut-il créer des Université internes dans les entreprises » (https://affen.fr/pedagogie/faut-il-creer-une-universite-interne-dans-lentreprise/). Les institutions formatives internes ont le vent en pourpre. En 2025, les académies internes représentent 40 % des formations professionnelles, contre moins de 15 % en 2022 selon Modèles de business plan. Qu’est-ce qui explique cette tendance ? S’agit-il d’une nouvelle mode ou d’un phénomène qui a vocation à s’adapter durablement dans le paysage français de la formation ? Comment l’entreprise doit se positionner entre l’Université interne et l’Académie interne ? Et quelle gouvernance pour l’ensemble de ces institutions au regard de la formation classique ? Que doivent faire les entreprises ?

1, Pourquoi créer une Académie interne ?

Avant de répondre à la question, il est intéressant de définir la notion d’Académie. L’Académie vient du nom d’un héros mythologique grec qui sauva la ville d’Athènes et dont le nom fut donné à un jardin, jardin qui accueillit les enseignements de Platon, ce qui par extension donna le sens du mot Académie. L’institut regroupe plusieurs académies. Quelle est la différence entre l’université d’entreprise et l’académie d’entreprise ? L’université est étymologiquement une formation sur la totalité des savoirs, universel avec une portée plus générale. C’est souvent le lieu de la prospective et la modélisation des devenirs. Alors que l’Académie est plus une connaissance opératoire métier, une académie de la formation montre comment les formateurs peuvent animer avec des nouveaux outils, là où l’Université sera plus conceptuelle. L’idéal étant que les deux institutions soient alignées, ce qui n’est pas toujours le cas.

Pour répondre à la question, une entreprise internalise la création d’une Académie lorsque les Académies externes ne répondent pas à leur besoin. C’est la théorie des coûts de transaction développée par Ronald Coase (The problem of social cost, 1960). Les organismes de formation externes permettent de développer des connaissances et des compétences mutualisées sur un certain nombre d’entreprises, favorisant l’émergence d’une externalité, des coûts réduits pour l’entreprise. Cette externalité standardise des savoirs ce qui devient un atout de mobilité pour les apprenants. Mais dans un monde en disruption, les standards sont à réinventer en temps réel, cela nécessite une taxonomie et une pédagogie agile. Ce qui ne se trouve plus sur le marché, il est donc nécessaire de l’internaliser. Prenons l’exemple de la formation à l’intelligence artificielle, la matière change toutes les semaines, il est difficile de trouver chaussure à son pied aujourd’hui et être sûr que l’organisme gardera son lead dans le temps. L’internalisation permet de s’assurer du contrôle du process et de l’adapter spécifiquement au besoin stratégique de l’entreprise au point d’en faire un avantage concurrentiel.

La seconde raison qui est un corolaire de la première est qu’il existe des métiers en tension qui génèrent des pénuries de main d’œuvre qualifiés. Un métier en tension est un métier pour lequel il y a moins de candidats qu’il n’y a de postes à pourvoir. La liste des métiers suivant les sources France Travail, le Ministère du travail ou la Dares comporte 17 métiers en tension en 2025. Faute de trouver en externe les talents, le fait de les construire en interne permet d’offrir une solution efficace, sous réserve d’une politique de fidélisation collaborateur. Cela permet à l’entreprise de garder la main sur les contenus. Par exemple, tout le monde est d’accord pour dire l’importance de la montée en puissance des soft skills, cette unanimité est d’autant plus louable que personne n’a la même définition du concept et que tout reste à construire. Internaliser la construction des compétences est un moyen de garder la main sur la politique de transformation, une agilité des compétences opératoires de l’entreprise.

2, Comment réussir une Académie interne ?

Une Académie interne est un marqueur social, reste à définir ce que l’on veut valoriser. Cette valorisation permet de développer un sentiment d’appartenance. C’est la raison pour laquelle les Académies sont souvent dotées d’un logo et d’une identité visuelle. Traditionnellement, l’identité est centrée autour du métier, l’Académie des formateurs, des managers, des vendeurs… même s’il existe des Académie transverses comme l’Académie de l’IA. Fêter le métier, standardiser les comportements voire les transformer. Le travail de transformation et de formation nécessite de construire un storytelling autour duquel l’apprenant va pouvoir s’identifier, une éthique professionnelle, une raison d’être, une utilité sociale qui réponde à la stratégie de l’entreprise. En période de transformation, l’identité métier a un autre atout, elle permet d’assurer la transition, préserver l’identité tout en changeant l’activité sous-jacente. Il s’agit de ne rien changer pour tout changer, rien changé à l’identité pour tout changer à l’activité.

Le deuxième déterminant de l’Académie est de choisir une pédagogie qui tienne compte de l’évolution sociologique des apprenants, que ce soit avec les pédagogies affectives, « l’effet waouh » et/ou les pédagogies actives. L’Académie classique où l’expert dispense son expertise, n’est plus la modalité attendue. Les apprenants veulent devenir acteur de leur propre apprentissage, et même « auteur » pour reprendre le mot d’Ivan Illich. La formation verticale s’horizontalise. La pairagogie en est sa forme la plus aboutie, pédagogie entre pairs. L’Académie propose une pédagogie qui débute des réalités terrain portée par l’apprenant, ce qui dans une société de la défiance évite la parole judicative, c’est l’apprenant qui donne sa réalité, la proximité de pair en fait valeur d’adhésion collective. Cette proximité de pair nécessite de construire une pédagogie agile pour atteindre les objectifs pédagogiques prédéterminés. Le formateur sait où il va, mais pas forcément comment.

L’Académie devient un lieu de partage entre pairs. Le travail de l’entreprise est alors de créer et d’organiser ce territoire apprenant où apprentissage devient un prétexte à faire du lien, se dire et s’écouter. Le neuroscientifique Paul Zak a montré l’importance de lutter contre la société de la défiance en construisant une société de la confiance. Ecouter les histoires des pairs développe le niveau d’ocytocine, de plaisir de celui qui écoute, faisant de la pairagogie un moment d’apprentissage heureux. Certains en ont fait une méthodologie en 8 points pour améliorer la confiance organisationnelle Ofactor (https://ofactor.com/) qui assure le fait de réduire le stress de 74 %, d’augmenter l’énergie de 106 %, de développer la productivité, la joie ainsi que plus de rétention 50 %. Outre l’apprentissage, l’Académie devient un lieu d’analyse sociale des comportements nouveaux, un lieu de knowledge management piloté par l’entreprise. Remettre l’apprenant au centre de la formation.

3, Quels impacts d’une Académie interne ?

Prenons un exemple concret, la montée en puissance de l’intelligence artificielle. Quelle institution créer ? Si l’Université de l’IA a pour vocation de créer un lieu de réflexion sur les opportunités et les dangers de l’IA, l’Académie a une modalité pédagogique plus opératoire avec la création de routines sur les usages de l’IA : que faire dans telle situation métier ? Depuis 1943 et les expériences de Kurt Lewin sur la transformation des comportements des ménagères américaines en matière d’alimentation montre que le faire est beaucoup plus efficace que le dire, 10 fois plus efficaces. L’Académie est le lieu du Learning by doing, autrement dit privilégier l’expérientielle, l’intelligence des doigts à l’intelligence des mots. L’âge du faire. La pédagogie a réinvesti le domaine de l’expérientiel avec des comportements comme le mimétisme ou l’oralité pour en faire des aventures humaines, apprendre de l’apprentissage des autres, faire ensemble. L’Académie est le lieu de cette transformation.

Le neuroscientifique Matthew Lieberman (Social, why our brains are wired to connect, 2013) montre que le cerveau par défaut, celui qui est activé lorsqu’on n’est pas concentré sur une tâche est un réseau social. L’homme a un besoin extrêmement fort de créer du lien social. Ce qui signifie que dans l’Académie l’important n’est pas tant le contenu que le fait d’apprendre ensemble, ce qu’il appelle « la connexion ». La pédagogie consiste à réunir et à organiser les rencontres à faire du contenu un prétexte pour rencontre l’autre, le prendre avec soi pour s’harmoniser, intégrer les croyances du groupe pour renforcer la cohésion sociale. Le bien-être de l’apprenant dépend de sa capacité à cultiver ces liens. Pour l’auteur, « Nous sommes une espèce sociale avant d’être une espèce individuelle ». L’Académie devient ce lieu où l’apprenant refait société, il s’agit d’une courbe d’apprentissage pour développer des liens forts et des liens faibles pour construire une harmonie relationnelle pour que la transformation devienne heureuse.

Enfin, l’Académie est un lieu qui s’inscrit dans le temps et devient une marque sociale, learnal branding, autour de laquelle l’apprenant se positionne. Comme toutes les marques, elle s’inscrit dans une politique de fidélisation pour assurer le suivi de la formation. L’Académie est une école hors-les-murs. Une école qui dépasse les murs de la formation stricto-sensus. Le travail de suivi devient un atout structurant pour les apprentissages. La création d’une communauté ou plus modestement une communauté de pratique fait partie du processus. L’Académie n’est plus événementielle mais continue. Ce qui présente un double avantage pérennisé, les apprentissages et comprendre la réalité des apprentissages, l’expert se rapproche des retours terrain pour pouvoir réagir au plus près des besoins des apprenants renforçant ainsi le lien qui a été construit. Ecouter pour comprendre, prendre avec soi les signaux faibles et assurer un observatoire sociologique. C’est à ce prix que l’apprenant deviendra ambassadeur de la marque pour laquelle il se reconnaît.

Zygmunt Bauman parle de l’entreprise liquide (La vie liquide, 2005), Nassim Nicholas Taleb de l’entreprise antifragile (Antifragile, les bienfaits du désordre, 2012), Gille Lipovetsky de l’entreprise artiste (L’esthétisation du monde, vivre à l’âge du capitalisme artiste, avec Jean Serroy, 2013). Le monde de l’entreprise est impermanent. Une Académie est un marqueur social, une promesse à honorer qui permet à l’apprenant de se positionner, une trace. Pascal Quignard avait cette belle formule : « La trace est ce qui demeure du mouvement » (Les ombres errantes, 2002). L’entreprise en mouvement se doit de garder des traces pour donner de la profondeur, de la perspective au changement. Une Académie est une histoire et un devenir. Elle permet à chacun d’avoir un repère pour s’étalonner et faire commun avec les autres, besoin de faire social pour sortir de l’émiettement du travail et entrer dans une coopération heureuse.

Fait à Paris, le 08 avril 2025

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